Littot graphies — célébrations secrètes
Lucile Littot est la prêtresse de cérémonies type XVIIIème siècle décadent. Sont-elles libertines ? Cela les limiterait outrageusement. Dire que tout y paraît classique serait abuser pareillement. Car il n’est pas jusqu’aux cocktails à posséder des « yeux de reptilo-nymphettes ». Si bien que l’objectif de tels conclaves n’est pas d’élire un pape mais de trouver le nom de futures papesses : une se nommera Mortadela. De quoi faire déjà une choucroute.
Mais Lucile Littot ne se contente pas de raconter des histoires. Elle les scénarise dans des décors extravagants où le bric et le broc n’ont rien de rococo ou de rikiki. Tout est « baroco » là où « l’âme à tiers » chère à Lacan prend diverses textures. Le décor tient de la chapelle d’un dieu disparu, d’un Monoprix ou d’un appartement des beaux quartiers : ceux que l’Opéra ne bouffe pas mais côtoie.
Mais pour s’y envoyer en l’air pas besoin d’ascenseurs. Des robes de mariées gisent à même le sol, des draps sont pendus (s’agit-il pour autant de montrer le sang des noces afin de suggérer que l’hymen a bien été consommé ?) Il existe là bien plus que des parapluies sur des tables de dix sections. Duchamp n’est plus ici. Lucile Littot l’a remplacé : elle fait le ménage et manage le toutim à sa fantaisie.
Elle a donc introduit tout ce qui décale le monde et ses images. Les belles de cas d’X se pâment à façon. S’y joignent des invité(e)s surprises et qui semblent hors saison. Tout dans l’œuvre dissipe la routine. Ce ne sont pas les seules rouquines qui roucoulent, hélées sans doute par des sbires ou des princes sans rire qu’on peut imaginer tapis sous le tapis puisqu’ils ne sont poussières que poussières.
Le monde est ludique mais non sans gravité. Et on imagine que Lautréamont (ake Isidore Ducasse) y aurait trouvé de quoi continuer ses champs de Maldoror s’il n’avait pas eu l’incongruité de mourir avant un âge raisonnable. Mais Lucile Littot reprend son flambeau et ses feux de Bengale voire allume des fumigènes comme dans des matchs de football. Et soudain les coupes du monde sont pleines et à ébullition. Champagne, Champagne pour tout le monde.
Chacun se dit que sa dernière heure est arrivée mais espère une petite mort. La jeune femme fait tout pour ne pas le décevoir. Tout sauf, bien sûr, le nécessaire… Si bien que d’un tel monde ne restent que des vestiges. Néanmoins, chacun se serait contenté de moins. Et tous savent que l’artiste n’a pas fini d’étonner le monde.
Alors oui : Champagne, Champagne pour tout le monde. Qu’importe les aria (de Morton Feldman ou Wagner) ou les les lieux : Paris, La Riviera, New York. Tout est chorégraphies à cor(ps) et à cris. Et la princesse n’a en rien fini sa quête extatique : les temps y rentrent en apesanteur entre graffitis de toilettes de boîtes de nuit et stucs de plafond tombés au sol pour pimenter le bal des fantômâles et (surtout) des fantômettes.
Sur leurs lèvres, le rouge émis ouvre à des abîmes pour solde de tous contes.
lire notre entretien avec l’artiste
jean-paul gavard-perret
Lucile Littot,
- Bons Baisers De La French Riviera, solo show, Galerie Edouard Manet, Gennevilliers, 2018.
- Sur un air de Wagner, New Galerie, Paris, 2018.