Valérie Mréjen, L’Agrume

Dire ouf ! ou celui qui aimait le lait frais en bouteille

Témoi­gnage de la fin d’une époque et des « condi­tions du vrai », Valé­rie Mré­jen s’amuse en scé­na­ri­sant une ren­contre et ses ins­tants. Bruno dit « L’Agrume » n’a rien d’un séduc­teur mais cela ne fait rien à l’affaire. La nar­ra­trice — quoique misan­thrope — s’en ammou­rache, enfin presque. Car c’est un cas d’espèce et une espèce d’esthète : il fait sécher des citrons et des oranges chez lui pour en obser­ver leur pour­ris­se­ment mul­ti­co­lore et reste capable de s’extasier devant un champ de navets ou un bou­chon de lavabo durci et cra­quelé.
Valé­rie et l’Agrume tentent de vivre une sorte d’histoire dite d’amour « assis sur un banc près des Halles, sous une espèce de per­gola en bois. » Le jour d’avant tout était déjà plié mais il était arrivé une heure en retard au rendez-vous : « J’étais devant la sta­tion d’essence de la porte d’Orléans à guet­ter les 4 L en espé­rant qu’il vienne ».

Elle dit « ouf » lorsqu’il ne vient pas mais encore plus lorsqu’il arrive : « J’avais envie de faire la tête mais la gaieté de le voir annu­lait tout. Ce n’était pas le moment de faire une remarque : déjà qu’il ne m’aimait pas beau­coup. » De toute façon, la nar­ra­trice était « sous influence »: Valé­rie lui fait ce qui lui plait .« Il aimait le lait frais en bou­teille » et elle lui en achète. Valé­rie Mré­jen pra­tique ici un art du délas­se­ment qui n’a rien de com­plai­sam­ment nar­cis­sique Elle ne cherche pas à faire l’intéressante : mais son écri­ture l’est beau­coup. Elle nous régale dans ce jeu inter­ac­tif entre deux amou­reux en rien tran­sis mais d’un genre par­ti­cu­lier.
Faut-il y voir chez l’artiste et écri­vaine une simple récréa­tion ? Pas sûr. Elle nous a déjà habi­tués à de tels apar­tés et res­pi­ra­tions enjoués même si — comme dans le cas géné­ral — l’histoire d’amour fini mal. Ici, tou­te­fois, la seule légi­ti­ma­tion de la lit­té­ra­ture n’est pas la psy­cho­lo­gie mais le plai­sir de la tra­ver­sée en un road-movie qui n’a pas besoin d’emprunter des ter­ri­toires lointains.

L’objec­tif est donc simple : il s’agit pour Valé­rie Mré­jen de tenir droit dans ses bottes de la créa­tion, et pour le lec­teur de se réga­ler des vicis­si­tudes, des dés­illu­sions voire des incom­pré­hen­sions et de tout ce qui fait le réel tel qu’il est lorsqu’une auteure est capable de lui don­ner toute l’alacrité néces­saire à sa sur­vie et celle de l’espèce.

jean-paul gavard-perret

Valé­rie Mré­jen, L’Agrume, Allia édi­tions, Paris, 2018, 80 p. — 6,20 €.

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Filed under Poésie, Romans

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