Rien de très original ici pour qui veut connaître les prémices du Surréalisme. Breton se fait encore patelin à souhait. Même s’il pique à fleuret moucheté le mouvement Dada sous l’égide de Vaché qu’il cite dans une lettre de 1919 : « L’art doit être une chose drôle et un peu assommante : c’est tout ». Nous sommes pourtant presque à la naissance de Dada et il se pressent que l’iconoclaste Tzara — en dépit des ronds de jambes — n’est pas totalement du goût de Breton.
Sa correspondance avec lui reste guindée, superficielle et faites des projets plus ou moins infructueux et de quelques échanges de textes. Picabia se prête à l’inverse plus aisément aux avances de Breton.
Toutefois, il n’est nullement question d’amitié profonde : les deux dadaïstes sont en territoires qui quoique conquis sont convoités par celui qui néanmoins reconnaît en Tzara une force de subversion qui relègue aux rangs d’antiquités les bricolages d’Apollinaire. Et Breton de traiter le dadaïste de « second frère » et double anti-littérature de Vaché. Mais ses débordements affectifs (« Si je vous écris rarement, ce n’est pas faute de vous aimer » lui écrit-il ) cache (mal car Tzara n’en est pas dupe) l’intérêt qu’il peut en tirer de l’apatride. Il se démène pour le faire venir à Paris de manière insistante.
A défaut, des poèmes s’échangeront. Mais l’amitié restera une vue de l’esprit et Breton préférera se tourner vers Aragon plus sensible à son esprit et plus parisien qu’européen.
Francis Picabia demeurera tout compte fait plus proche du futur pape. Certes, la défiance demeure rampante. Néanmoins existent divers ponts qui vont permettre insidieusement — et au grand dam de Tzara– à Dada de faire le lit du surréalisme. Rien n’est ouvertement dit dans ses billets succincts que s’échangent Breton et les deux dadaïstes. A part quelques coups de pieds de Tzara à Breton qui semblent prémonitoires (« Ce que je pense de vous, à part cela, vous le savez bien, beaucoup de mal. Je ne m’en cache pas …une attitude inqualifiable à l’égard de vos anciens amis »), les différends ne sont lisibles que pour celles et ceux qui sont déjà au fait de ce qui se trame.
De l’irrévérence chère à Dada, il ne reste rien tant tout le monde semble se tenir par la barbichette sans savoir qui sera le chou et qui sera la chèvre.
jean-paul gavard-perret
André Breton, Correspondance avec Tristan Tzara et Francis Picabia (1919–1924), Gallimard, Paris, 2018, 247 p. — 26,00 €.