André Breton, Correspondance avec Tristan Tzara et Francis Picabia (1919–1924)

Trio de fantômes

Rien de très ori­gi­nal ici pour qui veut connaître les pré­mices du Sur­réa­lisme. Bre­ton se fait encore pate­lin à sou­hait. Même s’il pique à fleu­ret mou­cheté le mou­ve­ment Dada sous l’égide de Vaché qu’il cite dans une lettre de 1919 :  « L’art doit être une chose drôle et un peu assom­mante : c’est tout ». Nous sommes pour­tant presque à la nais­sance de Dada et il se pressent que l’iconoclaste Tzara — en dépit des ronds de jambes — n’est pas tota­le­ment du goût de Bre­ton.
Sa cor­res­pon­dance avec lui reste guin­dée, super­fi­cielle et faites des pro­jets plus ou moins infruc­tueux et de quelques échanges de textes. Pica­bia se prête à l’inverse plus aisé­ment aux avances de Breton.

Toute­fois, il n’est nul­le­ment ques­tion d’amitié pro­fonde : les deux dadaïstes sont en ter­ri­toires qui quoique conquis sont convoi­tés par celui qui néan­moins recon­naît en Tzara une force de sub­ver­sion qui relègue aux rangs d’antiquités les bri­co­lages d’Apollinaire. Et Bre­ton de trai­ter le dadaïste de « second frère » et double anti-littérature de Vaché. Mais ses débor­de­ments affec­tifs (« Si je vous écris rare­ment, ce n’est pas faute de vous aimer » lui écrit-il ) cache (mal car Tzara n’en est pas dupe) l’intérêt qu’il peut en tirer de l’apatride. Il se démène pour le faire venir à Paris de manière insis­tante.
A défaut, des poèmes s’échangeront. Mais l’amitié res­tera une vue de l’esprit et Bre­ton pré­fé­rera se tour­ner vers Ara­gon plus sen­sible à son esprit et plus pari­sien qu’européen.

Fran­cis Pica­bia demeu­rera tout compte fait plus proche du futur pape. Certes, la défiance demeure ram­pante. Néan­moins existent divers ponts qui vont per­mettre insi­dieu­se­ment — et au grand dam de Tzara–  à Dada de faire le lit du sur­réa­lisme. Rien n’est ouver­te­ment dit dans ses billets suc­cincts que s’échangent Bre­ton et les deux dadaïstes. A part quelques coups de pieds de Tzara à Bre­ton qui semblent pré­mo­ni­toires (« Ce que je pense de vous, à part cela, vous le savez bien, beau­coup de mal. Je ne m’en cache pas …une atti­tude inqua­li­fiable à l’égard de vos anciens amis »), les dif­fé­rends ne sont lisibles que pour celles et ceux qui sont déjà au fait de ce qui se trame.
De l’irrévérence chère à Dada, il ne reste rien tant tout le monde semble se tenir par la bar­bi­chette sans savoir qui sera le chou et qui sera la chèvre.

jean-paul gavard-perret

André Bre­ton, Cor­res­pon­dance avec Tris­tan Tzara et Fran­cis Pica­bia (1919–1924), Gal­li­mard, Paris, 2018, 247 p. — 26,00 €.

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