Dominique Le Tourneau (sous la direction de), Pie XII et la Shoah. Le choix du silence ?

Pie XII inno­cent du crime impie

Le 7 novembre 2010, Michel Viot, pré­sident de l’association Écou­ter avec l’Église, orga­nisa une ren­contre autour de Pie XII, que nous avions annon­cée sur le blog. Il faut remer­cier les édi­tions Téqui de publier les contri­bu­tions des participants.

Le livre s’ouvre avec une pré­sen­ta­tion syn­thé­tique et claire de Mgr Le Tour­neau, sui­vie par une intro­duc­tion de Michel Viot. Celui-ci rap­pelle com­bien son père, socia­liste et franc-maçon, aimait Pie XII et détes­tait Fran­çois Mau­riac qui relayait les attaques venues d’URSS contre le pape, confir­mant au pas­sage le rôle des catho­liques dans le pro­cès intenté au pape.

Trois auteurs par­ti­cipent à la réflexion : l’historien Phi­lippe Ches­naux, le pré­sident de l’association juive Pave the way, Gary Krupp et l’avocat chas­seur de nazis, Serge Klars­feld. Phi­lippe Ches­naux construit sa réflexion autour de la double nature qu’il décèle chez Pie XII, le diplo­mate qui veut évi­ter le conflit direct, et le pas­teur mar­qué par sa voca­tion de prêtre, cet « être à part, voué à l’ascèse et à la sain­teté » sou­cieux des hommes et des âmes. Tou­te­fois, Phi­lippe Ches­naux retourne l’accusation faite contre Pie XII en affir­mant qu’il n’a pas été pri­son­nier de son « sens diplo­ma­tique » et ne nour­ris­sait aucune illu­sion sur Hit­ler et le nazisme. Il uti­lise les recherches les plus récentes pour laver Pacelli de tout anti­sé­mi­tisme et pour décrire sa per­cep­tion pré­coce des dan­gers du national-socialisme, anti­sé­mite et anti­chré­tien. C’est sa cer­ti­tude de se trou­ver face « à des fous dan­ge­reux » qui a conduit le pape — et c’est le centre de la thèse de Phi­lippe Ches­naux — à choi­sir déli­bé­ré­ment une sorte de silence, qu’il brise néan­moins à cer­taines reprises (Noël 1942). « Un choix per­son­nel, dif­fi­cile, dou­lou­reux même, mais plei­ne­ment assumé dans l’intérêt supé­rieur de l’Église et du catho­li­cisme ».

Philippe Ches­naux rap­pelle le dan­ger de l’anachronisme qui fait des ravages dans la ques­tion Pie XII. Pla­cée au centre des débats publics, elle perd son carac­tère pure­ment his­to­rique pour deve­nir un enjeu idéo­lo­gique. Elle est mani­pu­lée par des per­sonnes dépour­vues des com­pé­tences requises pour l’analyser. Le texte de Ches­naux nous rap­pelle ce qu’est un tra­vail d’historien.

 

Gary Krupp et Serge Klars­feld ne sont pas his­to­riens. Mais l’intervention en faveur de Pie XII de ces deux auto­ri­tés morales du monde juif per­met de réunir catho­liques et juifs autour d’une même vérité his­to­rique. Car la polé­mique cherche, on ne peut en dou­ter, à les dres­ser les uns contre les autres, alors que l’action béné­fique de Pie XII en faveur des juifs pen­dant la guerre devrait être un pont. Mais, comme il est noté à plu­sieurs reprises dans le livre, l’action pro­pa­gan­diste de l’URSS et de Hoch­huth, qui devint néga­tion­niste, trou­bla en pro­fon­deur les esprits. « La plus grande ten­ta­tive de dif­fa­ma­tion du XXe siècle » écrit Gary Krupp.

Le pré­sident de Pave the way explique par quel biais il est passé de cri­tique à défen­seur de l’action de Pie XII. Il donne des détails très inté­res­sants sur son tra­vail de col­lectes de docu­ments et sur les dif­fi­cul­tés aux­quelles ils se heurtent de la part de la presse. Il apporte aussi de très utiles détails sur le pro­jet d’enlèvement du pape par les nazis et sur la façon dont Pie XII s’y pré­pa­rait. Quant à Serge Klars­feld, il com­pare les efforts pon­ti­fi­caux en faveur des juifs à ceux des Alliés, dont de Gaulle, pour­tant à la limite de la déi­fi­ca­tion en France. La com­pa­rai­son penche, on s’en doute, en faveur du pape ! Sur­tout, en affir­mant que « depuis un cer­tain temps, on s’intéresse moins aux cou­pables qu’à ceux qui auraient pu empê­cher de tels crimes », il met le doigt sur un aspect à nos yeux essen­tiels : la ten­dance actuelle à étendre le champ de res­pon­sa­bi­lité de la Shoah y com­pris à ceux qui n’en ont aucune, et qui n’ont com­mis comme crime que celui d’avoir été contem­po­rains des faits.

Dans son texte, Mgr Le Tour­neau relève le carac­tère irra­tion­nel de la polé­mique Pie XII. Certes, il est stu­pé­fiant de voir com­ment on est passé de la louange à l’accusation ad hit­le­rum, du sau­veur des juifs per­sé­cu­tés au com­plice anti­sé­mite. Pour­tant, on peut avan­cer quelques expli­ca­tions : l’habileté des ser­vices de dés­in­for­ma­tion de l’URSS et de ses relais en Occi­dent, l’hostilité du monde anglo-saxon et pro­tes­tant à l’encontre de la papauté et du catho­li­cisme, mais aussi la volonté actuelle de groupes de pen­sée et de médias d’attaquer l’Église catho­lique et ses chefs à tra­vers de vio­lentes cam­pagnes de presse pour la salir d’une tâche dont elle ne pour­rait se laver.

Le livre contient en outre une série de témoi­gnages de juifs, contem­po­rains de Pie XII ou his­to­riens, qui rap­pellent la fer­veur que ce pape sus­cita et conti­nuer à sus­ci­ter dans le monde juif, ainsi qu’une chro­no­lo­gie et une biblio­gra­phie pré­cises. Tout pour faire de ce livre un très utile outil.

f. le moal

   
 

Domi­nique Le Tour­neau (sous la direc­tion de), Pie XII et la Shoah. Le choix du silence ?, Pierre Téqui édi­teur, 2011, 85 p.- 10,00 €

 
     

 

 

 

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