Branko Cegec, Lune pleine à Istanbul

Oh les belles nuits !

Sous un titre qui pour­rait (presque) faire pen­ser ceux qu’affectionnait Jean Bruce dans les années 50–60 pour ses « OSS 117 », Branko Cegec nous emporte dans un bien autre uni­vers. Certes, comme chez le roman­cier popu­laire, la ville inter­lope (Istan­bul) est bien pré­sente mais la com­pa­rai­son s’arrête là.
L’auteur, en glis­sant dans le laby­rinthe de la cité et de la poé­sie, nous pro­pose « une inva­sion bar­bare dans l’intimité de l’autre ». Le poète croate s’y fait moins voleur de visages que de feux. Il trouve une beauté dans le magma par­fois laid d’une ville hir­sute et dont la cir­con­fé­rence échappe. Nul véri­table centre n’apparaît et ce, volon­tai­re­ment. C’est la manière de sai­sir la plu­ra­lité d’un monde que Cegec arpente, entre Europe et Asie au milieu des cris et du brou­haha de la sym­pho­nie stambouliote.

L’écri­ture se veut une sis­mo­gra­phie appli­quée là où jus­tice et loi sont des impé­ra­tifs caté­go­riques d’un genre par­ti­cu­lier. Les « Star­bucks » se mêlent aux tra­di­tions ances­trales. Il existe des hommes en prière et ceux qui mani­festent. Le poète ne cherche pas à mettre de l’ordre : il témoigne avec peu de lyrisme et sans pathos. D’où la qua­lité de son texte. Ici « toute fin est le début d’un nou­veau jour » et des épo­pées se super­posent en une piété appuyée pour le sexe car l’auteur ne désire en rien aller au para­dis ; il n’y connaît per­sonne.
Demeure cet étrange scé­na­rio des vies mul­tiples et minus­cules « à un pas de la por­no­gra­phie », là où, à l’intérieur des mai­sons, « les murs n’ont pas d’oreille / et les lits pas d’yeux ». Mais Cegec écoute et regarde : non en mateur mais en ama­teur de l’existence et du monde tel qu’il est.

Au milieu du Bos­phore, la vie avance avec une appé­tence et une éner­gie qui emportent le livre et son lec­teur au milieu de la nuit. Mais en plein jour tout autant.

jean-paul gavard-perret

Branko Cegec,  Lune pleine à Istan­bul, Edi­tions de L’Ollave, coll. « Domaine croate / poé­sie », tra­duit du croate par Vanda Mik­sic & Mar­tina Kra­mer, Rus­trel, 2018, 70 p. — 15,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>