L’enfant qui sommeille dans la peau qui vieillit : entretien avec Philippe Thireau (Cut)

Il ne faut pas comp­ter sur Phi­lippe Thi­reau pour por­ter la lumière dans désordre des êtres humains et du monde. Les seuls petits bon­heurs viennent de la nature si l’on pos­sède tou­te­fois une per­cep­tion fré­mis­sante. Mais celle-ci tourne à un cer­tain désastre lorsqu’elle touche à l’humain. Ici le voyage se fait à rebours. Peu de prin­cesses de l’azur qui dérivent au ras de l’eau si bien. Car dans le puzzle humains beau­coup de pièces sont noires. La dou­ceur est rare­ment au rendez-vous là où les chiens rôdent.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’habitude, certainement.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Les rêves d’enfants sont les rêves de tou­jours. Ils ense­mencent les jours. Et jus­te­ment, après m’être levé, chaque matin, je retrouve l’enfant qui som­meille dans chaque pli de ma peau qui vieillit.

A quoi avez-vous renoncé ?
J’ai renoncé très tôt à être le meilleur. Le meilleur, c’est tou­jours l’autre (ce que vous ne per­ce­vez pas de lui ren­voie à votre inap­ti­tude à explo­rer sa pro­fon­deur. La sur­face ne suf­fit pas). Autre­ment dit, juger, ce qui est tou­jours som­maire et là je ne parle pas du sys­tème judi­ciaire, est une abo­mi­na­tion ; aimer est le che­min. Si l’autre m’aime, il trou­vera que le meilleur de moi enchante et dépasse son entendement.

D’où venez-vous ?
Un trou noir, là-bas, voyez cet être en équi­libre sur l’horizon des événements.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
Jus­te­ment, de la pous­sière d’étoile.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Gué­rir les petites bles­sures nar­cis­siques, qui forment une part de la dot dont vous par­liez à l’instant. Ce qui me manque blesse. Mais chaque geste osé et par­tagé avec soi répare. Chaque ins­tant cultivé, au sens où vous ins­trui­sez votre intel­li­gence, répare. J’avoue cepen­dant appré­cier ce qui gratte! Je ne sou­haite pas tout répa­rer, ça n’est d’ailleurs pas pos­sible, à l’heure der­nière la grande béance absor­bera tout.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains?
Qu’est-ce qui me dis­tingue des autres hommes ?

Com­ment définiriez-vous votre choix soit du roman, du théâtre ou de la poé­sie ?
Le théâtre et la poé­sie se sont impo­sés natu­rel­le­ment. Avoir les mots en bouche, les heur­ter en bouche, les faire cir­cu­ler hors. Le théâtre est dia­logue en bouche et hors, cela va de nature, et la poé­sie dia­logue avec soi, inti­me­ment. Je viens de lire un long poème de Gil­bert Bour­son, je me suis immergé dans ce monde fai­sant refluer l’antique dans la bouche. J’ai mâché les mots, les silences, j’ai construit l’image du poète qui dia­logue avec soi dans l’intime. La poé­sie per­met cette for­mi­dable intru­sion. Être poète, c’est se livrer corps et âme, c’est accep­ter que le lec­teur vous (dé)construise.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Ah çà ! La pre­mière image ? Ques­tion redou­table.… je cherche. Sans doute une image pieuse, cer­tai­ne­ment même. L’image d’une femme auréo­lée, les che­veux cou­verts, les mains jointes, vous voyez ? Cette figure reste comme une figure impo­sée mais belle.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Les pre­miers livres feuille­tés sont oubliés. La pre­mière lec­ture recon­nue : “Les trois mous­que­taires” d’Alexandre Dumas. Comme j’ai haï Madame de Winter !

Quelles musiques écoutez-vous ?
En ce moment, la musique de Domi­nique Pres­chez, “Concerto da Camera”. Je ne m’en lasse pas.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Tout le théâtre de Beckett.

Quel film vous fait pleu­rer ?
Aïe ! aucun.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une intrusion.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À Dieu. J’ai d’ailleurs du mal à le nommer.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Athènes. Je n’y suis jamais allé. Mais j’ai un faible aussi pour le site d’Empuriès en Catalogne.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Bon, c’est tou­jours dif­fi­cile de faire un choix, mais j’avoue que la ques­tion est per­ti­nente. Mal­larmé, Sten­dhal, Beckett, Sha­kes­peare, Pas­cal Qui­gnard, ouf ! voilà pour la lit­té­ra­ture. Et puis Camille Clau­del, Goya, les des­sins de Vic­tor Hugo, Hiro­shige, Vélas­quez, le mou­ve­ment Cobra, Fau­trier pour les arts plastiques.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Pour mon cen­tième anni­ver­saire, un verre de bon vin.

Que défendez-vous ?
Les mots. Les gens se défendent bien eux-mêmes, je l’ai remarqué.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Quelqu’un en veut tou­jours, c’est mon avis, quant à en don­ner soi-même, c’est une autre his­toire. Mais je me répète : « Aimer est le chemin. »

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
C’est une réponse très socra­tique. Excellent.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
La réponse est oui mais quelle était la question ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 25 jan­vier 2018.

 

2 Comments

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2 Responses to L’enfant qui sommeille dans la peau qui vieillit : entretien avec Philippe Thireau (Cut)

  1. Carreira

    Superbe entre­tien !
    “Aimer est le chemin”.

  2. Thireau Philippe

    Merci Car­reira pour votre appréciation.

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