Etat du lieu : les images et leurs ruptures
En vingt-huit pages l’auteure crée un monde et le défait au nom de sa disparition. Il y a là l’accomplissement d’un seuil selon divers temps d’« évidance », au moment d’un déménagement qui ramène à la présence de l’absence. Les mots sont là pour rameuter une présence au moment du « désenménagement », au moment où une maison doit être vidée.
Cela provoque un inventaire douloureux mais sans pathos. Tout tient de la liste d’objets qui firent une vie. « 7 février 2014, 11h08 : Placard du fond à gauche dans la grande chambre : vide. Papier marron comme gras, enlevé déchiré avec bruit strident, des petits zones, effilées, adhèrent encore aux étagères ». L’ensemble « suit son cours » comme disait Beckett. Dans ce livre, il n’est jamais loin. Sa « neutralité » d’apparence rejoint celle de l’auteure. Comme lui, elle pourrait lancer un : « finir, oh finir ».
Du moins tant que faire se peut, à mesure que remonte la douleur de la perte suivie de son anesthésie puis cette traversée avec un « long masque aux bords effrangés ». Bientôt, il ne reste presque plus rien : deux cantines et au dernier moment du travail « Petite table de chevet à roulettes : vide. Tiroirs du secrétaire : vides. Placard de communication entre la chambre du fond et la petite chambre : vide ». C’est un travail de l’absence par un regard de biais. En cette transcription froide pour éviter le trop brûlant.
Le travail de « secrétariat » est à la fois nécessaire et puissant. Cette présentation d’une intervention corporelle se fait avec l’application d’une interrogation renforcée et subtile là même où tout semble être mis à plat. Il faut une colossale évolution littéraire et humaine pour atteindre un tel état des lieux. Il faut lutter âprement pour chaque objet et acte.
Aucun n’est insignifiant. A cause de la perte. Elle va se poursuivre encore mais autrement après cette exfiltration et cette déconstruction qui n’a pas pour but de détruire l’art mais de redonner de la vie en se confrontant à ses limites et au territoire des choses.
jean-paul gavard-perret
Esther Salmona, Amenées, Editions Eric Pesty, Marseille, 2017, 28 p. — 9,00 €.