Richard Meier, Un œil pour les yeux & Dynamo des Tropismes

Faire trem­bler le et les sens

Richard Meier peu à peu et de plus en plus devient livre. Pas n’importe lequel et ce, non seule­ment dans ce qui y est dit mais dans la façon dont ils se conçoivent. Jusqu’à leurs tranches indiquent des flé­chages.  Le créa­teur contre­vient aux  règles de fabri­ca­tion mais aussi les sub­sume à la fois pour mettre à nu l’objet livre mais sur­tout pour y intro­duire une exu­bé­rante arbo­res­cence : lan­gage, cal­li­gra­phie, des­sin, pein­ture se conjuguent avec par­fois adjonc­tion d’objets hété­ro­clites (allu­mette pour y mettre le feu…)
Chaque livre se par­court en tout sens loin d’une « chrono-logique ». Il ras­semble des seg­ments d’histoires inquiètes et comiques dont les res­sources extra­or­di­naires res­tent leurs lan­gages eux-mêmes. C’est pour­quoi le lec­teur aime à s’y perdre. Il nage dans la féli­cité car le livre se déploie comme une longue jambe de femme dont les mots et les images donnent à la chair des nuances troublantes.

Le logos et les images créent une céré­mo­nie des aveux propre à faire savou­rer les com­plexi­tés autant de la méta­phy­sique que des jar­re­telles. Elles font appro­cher d’un trou qui trans­perce d’ailleurs l’un des deux livres. Il s’agit donc de les par­cou­rir en va-et-vient pour en appré­cier la nature. Il existe là un « Trou de mémoire » nous dit Meier… Mais la méta­phore en sa concré­tude peut sug­gé­rer d’autres ser­rures et cer­clages. Et l’auteur est assez malin pour mul­ti­plier des chausse-trappes.
Dans cette forêt du sens l’orme est un loup pour l’orme mais l’homme reste à la pour­suite de la fleur de la bien-aimée. Le lou­foque est là pour rap­pe­ler que si l’amour est l’espérance d’un rivage, le temps risque de pleu­voir des­sus et de l’anéantir avant notre arri­vée. Néan­moins, page après page dans l’accordéon de chaque livre l’auteur dis­tille quelques gout­te­lettes d’infini que toute belle femme verse dans le désir de l’homme qui la chérit.

L’amour devient par­fois virago avec hom­mage à Valéry, Rous­seau, etc. dans des jeux de struc­tures, d’architectures, de corps et de visages. Certes, les livres de l’auteur ne se pré­tendent pas les alcôves de l’Olympe (du grand ou celui de de Gouge) mais nous par­vient l’écho de celui du Roméo propre à cares­ser des Juliette. Dans l’attraction de leurs épaules l’auteur super­pose des pôles et posi­tionne des doutes.

 Dynamo  et  Un œil  prouvent que dans l’histoire de tout amour, il existe des inci­dents de par­cours : le con pro­mis n’est pas la chose due et le com­pro­mis de Judas peut lais­ser pan­tois. le bai­ser n’en consti­tue pas moins un pont sûr. Le créa­teur pré­cise des séma­phores fémi­nins et des cartes du Tendre. Chaque amour com­porte un Water­loo mais la morne plaine n’empêche en rien le sou­ve­nir de col­lines et de val­lées. C’est pour­quoi ces deux livres se donnent dans les inter­stices du temps par bribes. Nul ne sait jamais trop ni quand ni com­ment : mais à un moment donné le lec­teur est pris : il arti­cule le tout, dégage une logique et com­prend le rap­port que l’auteur entre­tient avec le réel, l’art et la littérature.

Richard Meier sait que la lit­té­ra­ture et l’art sont tout et qu’en même temps ils ne sont rien. C’est pour­quoi il fait ses livres avec sérieux et farce sans pos­si­bi­lité d’échappatoires sinon un trou de vidange dans Un œil. Néan­moins, aucun monde humain ne peut faire l’économie de la lit­té­ra­ture et de l’image. Non pas comme simple dupli­cata sty­lisé mais comme empê­che­ment de pen­ser en rond.
D’où l’aspect épou­van­tails aux dés­illu­sions — plan­tés au milieu des cime­tières des vieilles lunes — de ces deux oeuvres. Face au délé­tère, elles ne manquent jamais d’R.

jean-paul gavard-perret

Richard Meier,  Un œil pour les yeux  &  Dynamo des Tro­pismes, Voix édi­tions, 2017.

2 Comments

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2 Responses to Richard Meier, Un œil pour les yeux & Dynamo des Tropismes

  1. Villeneuve

    Oui , oui , article jubi­la­toire , jouis­sif et dans la bonne veine des jeux de mots de notre talen­tueux JPGP .

  2. Carreira

    Quel belle cri­tique JPGP nous fait là, waouh !
    Ça donne envie de lire ce livre.

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