Stéphane Mallarmé & Paul Valéry, Autour de moi et la main — Correspondance Stéphane Mallarmé / Paul Valéry

La com­mu­nauté avouable

Il faut ima­gi­ner Valéry, en sa folie du sage, assis sur un banc mouillé près d’un kiosque ou déjà assis devant sa table de tra­vail, osant s’adresser à Mal­larmé eu égard à l’étonnement et l’extase de ses textes. Tout feu, tout flamme Valéry écrit : « Un jeune homme perdu au fond de la pro­vince, à qui de rares frag­ments, par hasard décou­verts en des revues, ont per­mis de devi­ner et d’aimer la splen­deur secrète de vos œuvres, ose se pré­sen­ter à vous. Il croit que l’art ne peut plus qu’être une étroite Cité où règne la Beauté soli­taire. Il désire se joindre, avec son rêve per­son­nel, aux quelques amants de la chas­teté esthé­tique.» Bref, le futur auteur se situe déjà dans le clan des élus ou des happy few.
Cette pre­mière lettre de Valéry date d’octobre 1890. La seconde d’avril 1891. Elle prouve l’imprégnation sym­bo­liste du jeune poème qui défend une doc­trine du sym­bole et de la poé­tique musi­cale chère au mou­ve­ment. Valéry voit déjà la poé­sie comme « une expli­ca­tion du Monde déli­cate et belle, conte­nue dans une musique sin­gu­lière et conti­nuelle ». Il en fait état à celui qui le pre­mier sort la poé­sie « du pesant secours des banales phi­lo­so­phies, et des fausses ten­dresses ». Mal­larmé répon­dra à cette lettre le 5 mai : « Oui, mon cher poète, il faut, pour conce­voir la lit­té­ra­ture, et qu’elle ait une rai­son, abou­tir à cette “haute sym­pho­nie ” que nul ne fera peut-être ; mais elle a hanté même les plus incons­cients et ses traits prin­ci­paux marquent, vul­gaires ou sub­tils, toute œuvre écrite. »

Dans ses lettres, le maître évite tout bavar­dage. Il pré­fère l’orgue de la phrase en « repons » de la musique dont parle Valéry. Tout en déli­ca­tesse et urba­nité, ne cher­chant pas à défendre ou à renier son ori­gi­na­lité, il répond avec l’inflexibilité d’un moine même s’il ne l’était pas et pré­fé­rait les mani­festes poé­tiques et les ban­quets lit­té­raires. Mais chaque lettre devient un signe envoyé au maître qui contra­ria l’immobilisation syn­taxique en usant au besoin d’une lexi­co­gra­phie miro­bo­lante dont la qua­lité majeure tient au fait qu’elle n’est jamais gra­tuite.
Valéry a com­pris com­bien l’auteur du  Coup de dés perce le monde en décer­clant l’écriture dans une langue qui déserte la cendre des gloses. Sans abus de voca­bu­laire, les deux auteurs approchent le concept d’absolu et une véri­table ivresse de l’infini dans la mesure où, par leurs tra­vaux, ils furent à la recherche d’un ailleurs en des tra­vaux non seule­ment d’engagement total mais d’extrême rigueur. Manière aussi de déga­ger Valéry des gla­cis, des jeux déli­cats de reflets et de moires, des har­mo­nies sub­tiles, bref de la coquet­te­rie dans laquelle cer­tains cri­tiques ont voulu le bloquer.

jean-paul gavard-perret

Sté­phane Mal­larmé et Paul Valéry, Autour de moi et la main — Cor­res­pon­dance Sté­phane Mal­larmé / Paul Valéry, Pré­face de Michel Jar­rety & Ber­trand Mar­chal, Fata Mor­gana, Font­froide le haut, 2017, 80 p.

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