Le livre de Hélène Peytavi propose “une relecture sensible du chemin de Walter Benjamin entre Banyuls et Port-Bou”. Mais il est beaucoup plus pour celle qui, dans son enfance au sein du midi viticole, connaissait et parcourait les chemins de traverse entre le France et l’Espagne. Ce fut pour elle un jeu sur des chemins bornés de pierres numérotées qu’il fallait essayer de retrouver. Mais l’attentive et insolente rêveuse, une fois arrivée sur les cimes, perdait la tête dans les étoiles.
Néanmoins, c’est bien sur ces chemins qu’elle a appris à voir. Il ne lui restait qu’à peaufiner le dessin. Il fut son premier langage et demeure son langage premier. Elève de Guy Beaubois à Carcassonne puis d’Agnès Carré aux beaux-arts de la ville de Paris, elle poursuivit une pratique artistique en explorant différents supports : le dessin, le dessin au doigt sur smartphone, la photographie et le livre.
Chez elle les moindres gratte-culs prennent une émotion particulière. Ce n’est pas un hasard si, en les voyant dans une exposition, une critique évoqua le travail du peintre et calligraphe chinois du XVII siècle, Pata Shanjen, moine artiste itinérant. L’artiste n’est pour autant en rien une moniale. Et surtout pas cloîtrée. Elle a les jambes trop ailées pour ça. Adepte des voyages, elle est aussi sensible à ceux qui ne les choisissent pas mais y sont contraints. D’où son attention portée aux exilés. Et les chemins de Cerdagne n’y sont pas pour rien. Se « nourrissant du réel, comme d’une petite musique, partition inachevée du monde » (écrit-elle), le dessin est « juste ce qui se trouve juste devant soi. La couleur et souvent les formes végétales couvrent mes feuilles, laissant la part belle à l’improvisation ».
Dans une forme d’obsession du motif, elle développe son travail en série. Son livre permet de les scénariser afin de relier la montagne à la mer, l’exil et la frontière. Avec tout ce que cela supporte de danger. Pour preuve, sur la tranche du livre qui se développe tel un leporello, la croix noire tracée à la brosse qui indique les mauvaises directions à ne pas prendre. Entre autres sur la « route Lister », empruntée pendant la guerre d’Espagne par les réfugiés et qui était lardée de voies sans issues et dangereuses.
Le livre se déploie non du début à la fin mais à partir de son centre selon un travail d’extension, de construction, déconstruction, reconstruction du sentier de l’exil à partir d’une histoire naturelle réinventée de la Méditerranée. Il ressemble à un livre de botanique. Mais il est avant tout plastique et poétique. Dédié à Walter Benjamin et à Mahamadou Traoré, il fut le fruit préalable de deux traversées afin de rassembler un herbier, des photos, des dessins et de textes. Il a été composé et rassemblé par le maître du montage de livres d’exception : Richard Meier.
L’artiste et éditeur donne à ce cheminement poétique sur les pas de Walter Benjamin (et empruntant à l’anglais, langue de l’exil, son titre) toute la douceur et la puissance des dessins. C’est tout simplement beau. Sans fausse note, ni floraison intempestive. Le coté extrême oriental mais aussi hispanisant (Miro) reste patent. Existent une “voix” et un passage. Le livre permet d’évoquer ce qui ne peut se dire. Tout reste sous le sceau du secret puisqu’en absence ou presque de texte, ce qu’il en reste crée des béances dans l’anonyme afin de suggérer quelque chose de plus substantiel que les mots eux-mêmes. Mais ces incidences permettent de renvoyer à la flore où plutôt la façon de la montrer.
Le lyrisme plastique d’Hélène Peytavi impose le laconisme et l’aisance, le repliement et le déploiement (au sens premier du livre-leporello) au service de ce qui permet de contempler l’éternité éphémère des fleurs et les idées fugitives de leurs feuillages non caduques qui rassemblent le tout.Par ce travail et comme pour celle qui le crée, il faut se vouer à la recherche d’une sagesse taillée dans les fibres et les rythmes d’essence tellurique.
En ce sens, toute esthétique garde sa plante ou arbre. Toute éthique aussi. Pour ne pas céder à la friche et rappeler la grandeur et la misère des humains qui, contrairement aux plantes, ne tendent pas forcément à la rectitude. Créer c’est donc regarder la nature longtemps pour en cerner les détails. Car plus que Dieu elle en est pleine. C’est même sa métaphore ouverte et la fidélité au fondement qui ne peut être abattu et qui le dépasse.
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jean-paul gavard-perret
Hélène Peytavi, Mountains and sea, Editions Voix, Richard Meier, 2017.
Ce qui m’a le plus frappé dans ce livre, c’est la liberté formelle. Je n’imaginais pas qu’un livre puisse être transformé en chemin. Ce faisant, Hélène Peytavi mêle la forme et le fond. Le lecteur est emporté dans ce voyage où la nature et les émotions sont un trait d’union à travers le temps. Une expérience à vivre pour voir le livre, en tant qu’objet, sous un jour nouveau. Et partager un moment de plaisir au milieu de plantes et de paysages magnifiques. Merci à l’auteur et l’éditeur pour toutes ces sensations et cette créativité.