Manuel du savoir mieux vivre pour ne pas se rater
On le sait depuis que Brel l’enchanteur l’a chanté : il n’y a pas que les taureaux à s’ennuyer le dimanche. D’ailleurs, la génération des winners a décidé de le déguiser en jour de semaine. S’ouvrent désormais les magasins le jour consacré au culte du dieu trinitaire — ce qui revient à le remplacer par un autre. Etant magnanime, même s’il n’habite par près de la Tour Magne à Nîmes, Esnault accouche (par le Saint Siège) des diverses manières de tuer le temps. Et ce, même pour les ésotériques qui mettent volontiers des idées dans le désir voire — au service de leur instinct — la réalité dans le néant.
D’où ce manuel de « félixité », pour rendre les imbéciles (mais pas seulement) heureux lorsque les tuyaux de la vie sont bouchés. Chaque poème devient en conséquence du Destop top où roucoule ailé un fleuve ou plutôt le discours de la méthode afin de s’envoyer en l’air en évitant les ascenseurs.
Nul en effet n’est jamais assez prudent lorsqu’il s’agit de mourir. Esnault livre pour le suicide hebdomadraire parfois des méthodes peu actives (regarder la télé) mais surtout des processus plus rapides et souvent d’un prix ridiculement dérisoire. Inutile d’employer des lames de rasoir Gillette ou Wilkinson lorsque enfouir la tête dans un sac plastique serré au kiki fait l’affaire. Certes, les esthètes qui prennent la mouche ou qui possèdent une araignée dans la tête préféreront l’insecticide et les pervers la psychanalyse – ce qui est un moyen d’accentuer leur supplice et l’automutilation.
Les plus membrés choisiront volontiers l’amante religieuse (ou non) et les gourmands des duos de nonnes. Esnault n’est jamais avare de coups de pied de biche dans le duodénum : sa méthode Virginia Woolf ne laisse pas de pierre, quant au spectacle pour enfants dans les centres commerciaux, il n’est pas mal non plus.
Nous garderons néanmoins, et suivant ses conseils, un penchant pour les réseaux sociaux où d’aucuns passent leur temps à photographier leur chat. Mais le transport amoureux mutilant a ses qualités : la chatte à défaut d’un doigt brûlant se repasse sur les rails du métro (pour les non parisiens le réseau SNCF sera consubstantiel à celui de la RATP).
Bref, il existe là, sinon mille et une manières de d’atteindre le nirvana, du moins les indices aux grâces roturières afin d’exécuter la grande œuvre qui tient au cœur ceux que l’idée de l’arrivée du lundi pèse. Le tout pour 4 euros : c’est une occase à ne pas rater. Seul l’espérant (mais de quoi ?) pourra s’en dispenser.
jean-paul gavard-perret
Christophe Esnault, Aorte adorée, Editions La Porte (Yves Perrine, Laon), 2017, non paginé - 4,00 €.