Pierre Bordage sait, comme personne, créer des mondes, bâtir des univers novateurs, lancer dans les immensités cosmiques des personnages qui suscitent une empathie immédiate. Une fois encore il propose un road movie cosmique pour deux êtres qui se cherchent, que tout sépare et qui vont devoir affronter les pires dangers. Ils devront faire face au plus nuisible, l’homme et ses superstitions, ses croyances aux fondements totalement dépassés voire totalement erronés.
L’astroport de la planète DerEstap est le relais spatial le plus fréquenté de l’univers. Mais, il est assailli tous les deux mois par des nuées de dragons, des créatures énergétiques qui ne ressemblent à aucune espèce et défie la logique. Sohinn, d’origine Erwaks, commande l’escadron des dragonneurs, fort de vingt vaisseaux. Cependant, cette nouvelle attaque est différente. Précognitif, comme ceux de sa race, il détecte derrière la nuée plus dense une présence hostile. Quelques instants plus tard, une gigantesque forme sombre occupe la totalité des écrans.
Depuis qu’Eloya, une Salahamite, a été examiné par un vieillard, quelques jours après ses premières règles, sa vie est totalement bouleversée. Elle est une parale. Elle est recouverte d’un immense voile noir car plus personne ne doit la voir. Sa famille et mille habitants ont quitté leur planète pour une destination qu’elle ignore. Ils sont en transit à DerEstap.
Malgré la destruction de la forme sombre et la lutte acharnée des dragonneurs, des créatures ont atteint l’astroport faisant d’énormes dégâts et de nombreux morts. La mère d’Eloya est parmi les victimes comme nombre de Salahamites. Ceux-ci obtiennent le droit de leur donner une sépulture selon leur tradition. C’est dans la Fosse des Damnés que se déroule la crémation.
Leur vaisseau étant bien endommagé, Sohinn et son équipier ont atterri en catastrophe et tentent de regagner l’astroport. Passant près de la Fosse où les Salahamites officient, Sohinn a la vision d’une jeune fille d’une incroyable beauté. Eloya, de son côté, perçoit un regard, des yeux noirs en amande qui la contemple avec une douceur ineffable. Jugés responsable de la catastrophe, les deux dragonneurs sont emprisonnés. Mais la vision continue de hanter Sohinn. Eloya suit le parcours que lui trace un destin qu’elle n’a pas choisi. Ils n’auront de cesse de se retrouver…
Le romancier entraîne son lecteur dans une suite d’aventures, d’actions, de péripéties, de coups de théâtres avec, en toile de fond, cette attirance de deux êtres l’un pour l’autre, une attirance irraisonnée allant à l’encontre d’un destin tracé au nom d’un pseudo dieu, un diktat émis par un vieillard sénile. Il interroge ce besoin irrépressible de l’être humain en croyances, il décrit les prises de pouvoir d’individus s’engouffrant dans ce besoin d’illusions. Il fait douter de cet amour, de cette bonté dont sont parés ces dieux quand on voit ce qu’ils sont censés prôner dans leurs “évangiles”. De plus, il montre que le statut de la femme n’est fait que de contraintes et d’interdictions faisant penser à son héroïne : “L’immense bonté de Sahourah (le nom du dieu) n’était-elle donc destinée qu’aux mâles ?“
C’est également un hymne à l’amour, à la liberté individuelle, au droit de choisir son chemin, son destin.
Avec une galerie de personnages étoffée, riche de caractères variés qui autorisent nombre de situations et de développements, Pierre Bordage signe un superbe roman. Outre une action débridée, il aborde nombre de questions, de réflexions tant sur le sort de la femme, sur les valeurs de solidarité, sur les sentiments forts qui doivent prôner dans toutes les relations humaines le respect des autres, de leurs opinions.
serge perraud
Pierre Bordage, Résonances, J’ai Lu n° 11827, juin 2017, 544 p. – 8,90 €.