Un texte qui sert bien plus le Yémen qu’une campagne de communication
L’histoire personnelle, intime, de Khadija Al-Salami se mêle à la grande Histoire. Celle de son pays. Celle du monde en marche. Du monde en changement. Elle est une actrice courageuse et fière de ce changement. Aujourd’hui directrice du centre culturel du Yémen en France, elle est aussi réalisatrice de films courageux, notamment sur son pays…
Superbe petit bout de femme, bourrée d’énergie et de volonté, elle offre sa propre vie aux lecteurs curieux du monde et du Yémen. Lorsqu’elle parle du Yémen, son pays, elle parle d’elle-même. Le charme de ce qu’elle écrit sur sa propre histoire le dispute à l’intérêt historique, politique et sociologique de son ouvrage. La connaître est un honneur. La lire est une joie voluptueuse. Elle confie une foultitude de détails. Loin de lasser le lecteur, ces détails sont la sève de son livre. Imaginez un peu : son histoire commence en 1966, date de sa naissance. Le Yémen est en pleine guerre civile. Cette guerre est elle-même l’une des conséquences de la Guerre Froide. À cette occasion, ce pays quitte le Moyen Âge pour s’engouffrer dans une modernité qu’il souhaite vivement maîtriser et qui le dépasse. Khadija Al Salami est le reflet de ces transitions. Au féminin — et ce point de vue est essentiel à l’intérêt de l’ouvrage. Nous savons tous (ou presque…) que le Yémen fonctionne sur un modèle tribal. Savions-nous qu’une femme pouvait s’y faire entendre… ? Le code de l’honneur offre-t-il à une femme la possibilité d’intervenir dans des affaires d’hommes ? De sauver une vie — celle de son petit frère ?
Son texte raconte l’histoire récente du Yémen et donne des clés pour comprendre le fonctionnement de cette société tellement particulière, où le tribalisme partage la sphère publique avec l’autorité d’un État naissant. Elle nous explique aussi comment l’État se nourrit du tribalisme dont il tente par ailleurs de cerner les effets pervers. Khadija Al Salami nous livre aussi un très beau témoignage d’amour à son époux, américain, plus curieux du Yémen qu’elle-même au début de leur histoire… et qui l’a sans aucun doute aidée à “accoucher” de ce travail sur elle-même et sur son histoire…
Car l’histoire de cette femme est extraordinaire, au sens propre du terme. Femme, yéménite, musulmane, réalisatrice de talent pour la télévision, elle représente aujourd’hui son pays à Paris et porte haut les couleurs de la féminité et de l’engagement personnel. Croyons-nous lire un texte tout à la gloire de son pays, fonction oblige ? Nous trouvons un récit très honnête sur le Yémen et ses habitants, sur ses traditions, ses beautés et ses travers. Un texte qui sert bien plus ce pays qu’une campagne de communication. Car Khadija est profondément, irrémédiablement, amoureuse de son pays. Et comment ne pas l’être lorsqu’elle nous emmène en balade dans de somptueux paysages, qu’elle nous invite à traverser des situations étranges qu’elle analyse et explique pour nous…
Khadija ne nous offre pas qu’un simple regard sur elle-même et sur son pays. Elle nous conduit aussi entre autres en France et aux États-Unis d’Amérique où elle a vécu, travaillé et aimé. Et le reflet de nos sociétés occidentales dans son regard est fascinant. Elle livre avec émotion ses étonnements, ses souvenirs, ses amours, ses amertumes et ses regrets. Elle dévoile ses désirs et ses passions. Ses rêves surgissent au détour d’un chapitre… Sa tendresse, maîtrisée, reste le fil conducteur d’une histoire personnelle et nationale qu’elle livre avec l’élégance d’une reine, de la grande Reine de Saba !
Lire ici les réponses de Khadija Al-Salami aux quatre questions d’Arthur Nourel [NdR]
arthur nourel
Khadija Al-Salami, Pleure, ô, reine de Saba ! (En collaboration avec Charles Hoots — Traduit de l’anglais par Céline Schwaller), Actes Sud coll. “Aventrue”, mars 2006, 459 p. — 23,00 €. |
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