Fidèle à lui-même, Pablo de Santis continue de jouer avec notre imagination
Les livres de Pablo de Santis se ressemblent tous. Et celui-ci n’échappe pas à la règle.
Comme souvent, il s’agit de mystères (franchement, où est l’intérêt de vivre dans un monde en tout point rationnel ?).
Comme souvent, on croule sous des références livresques. Livres qui secrètement dirigent le monde, suivant des règles obscures, vaguement ésotériques, traqués par des érudits aux motivations étranges (et Buenos Aires est un bon endroit pour ce genre de chose).
Comme d’habitude, le héros est un jeune homme qui ne comprend pas grand chose à ce qui lui arrive et qui n’influe que très peu sur le déroulement des évènements. Un héros qui n’a rien d’un héros, qui est plutôt là pour mettre en relief les autres personnages.
De quoi s’agit-il cette fois-ci ? Pour la faire simple, il s’agit de vampires. Qui craignent la lumière du jour et sucent le sang de jolies filles. Quoique, tout ça, ce sont des détails. Ce qui les caractérise fondamentalement, c’est leur manie de collectionner des vieux objets. Le titre original est plus explicite : ces sont des Anticuarios, des antiquaires. Chacun s’accroche au passé comme il peut. Pour l’un ce sera les livres, pour d’autres des poupées en porcelaine ou des instruments médicaux. On s’en doute, la joie de vivre n’est pas le quotidien de ces êtres solitaires qui n’aiment rien tant que de se faire les plus discrets possibles. La seule chose qui les poussent à sortir un peu de leur tanière, c’est quand un savant fou (plus ou moins manipulé par un Ministère de l’Occulte) veut en capturer un pour ses expériences.
L’idée qui revient sans cesse chez cet auteur, c’est que le monde est guidé par des règles qui nous échappent. Ce n’est pas bien grave, c’est même plutôt romanesque. Cela cesse d’être en enjeu pour les personnages et ça devient pour l’auteur (et le lecteur) un exercice mental. Disons plutôt ludique.
On est dans le mythe. Toujours. Un mythe qu’on connaît et qui nous fascine pour ses implications théoriques. Une langue universelle (dans La Traduction), un automate parfait (Le Calligraphe de Voltaire), des détectives infaillibles (Le Cercle des Douze), et ici, l’immortalité via des vampires dépressifs. Et à partir de là, on peut jouer, détourner légèrement, réconcilier les références érudites et les intrigues policières.
On est dans un monde où le mystère ne doit pas être anxiogène, le mystère ne doit pas être forcément résolu, en fait, le mystère ne doit pas être mystérieux, le mystère doit être élégant, dessiner un cadre confortable pour l’intrigue. Il y a des morts et des chagrins d’amour mais ce n’est pas grave, cela n’empêche pas le monde de fonctionner, même bizarrement. Tout ceci dessine un univers évanescent, qui pourrait se passer n’importe où n’importe quand, sans vraie prise sur le réel. Alors voilà, on se ballade dans un Buenos Aires secret et souterrain, on discoure négligemment sur tout un tas de sujets, on respire l’air ambiant. C’est la classe. C’est toujours un plaisir de lire Pablo de Santis.
Matthias Jullien
Pablo de Santis, La soif primordiale, traduit de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry, coll. “Bibliothèque hispano-américaine”, Métailié, février 2012, 280 p. — 19,00 € |
||