Niele Toroni appartient à une génération où les artistes suisses quittaient leur pays pour vivre à Paris. Il y vit depuis 1959. Cofondateur du groupe BMPT avec Daniel Buren, Olivier Mosset, Michel Parmentier,il s’est situé entre l’art conceptuel et minimaliste. Si les trois autres ont plus ou moins changé de cap,iele Toroni, est resté sur les mêmes fondamentaux en revendiquant un degré zéro de la peinture. Refusant les items inhérents à l’art,il demeure fidèle à l’injonction première du groupe : NOUS NE SOMMES PAS PEINTRES ! ».
Ce qui n’est malgré tout qu’une façon de parler. Les œuvres de l’artiste existent ! Elles sont généralement construites par un alignement de points monochromes ou polychromes sur une surface blanche qui définissent son radicalisme. L’objectif de Toroni était de donner un coup de pinceau No50 tous les trente centimètres sur son support blanc et il n’a pas bifurqué.
La fable du Lapin Tur est une autre manière d’exprimer son supposé détachement de la peinture. Il joue les moqueurs pour détourner toute théorisation spéculative. Contrairement à ce qu’il affirmait dans le « programme » de BMPT , l’artiste ne renonce pas à un certain jeu. Néanmoins,c’est pour mieux dégommer les poncifs picturaux : accord des couleurs, des règles de composition, d’un prétendu tremplin à l’imagination, de la valorisation du geste et de l’égo de l’artiste, de son intériorité plus ou moins opaque.
Bref, le lapin devient un moyen d’illustrer que la peinture ne sert à rien et qu’importe « l’esthétisme, des fleurs, des femmes, de l’érotisme, de l’environnement quotidien, de l’art, de dada, de la psychanalyse ». Il n’empêche que Niele Toroni reste un artiste qui, sous la facétie, est plus sérieux qu’il ne le prétend. Pour preuve — si besoin était et même si la preuve n’est pas irréfutable — il a reçu en 1995 le Grand Prix National de la Peinture.
La réimpression de ce livre introuvable était important. Petite mais costaude, cette fable écrite en 1976 et publiée en 1984 donne au Tessinois âgé de 80 printemps l’occasion de multiplier les plaisanterie pour illustrer la fausse mort de la peinture (elle serait décédée bien avant lui…). De fait, Toroni tourne en dérision la sépulture annoncée en multipliant les jeux de mots. Cette fantaisie qui finit néanmoins par une pendaison reste un régal.
Il se poursuit dans l’édition chez Allia par L’histoire d’une couleur de Georg Simmel, texte plus âgé de 80 ans que le texte du Suisse. La couleur dont il est question se nomme dans ce récit « le Grülp »… Tout est dit. S’imagine aisément le lien entre les deux textes. Sans commentaire. Mais on dira avec peinture. Fait main.
jean-paul gavard-perret
Niele Toroni, L’histoire de Lapin Tur, Editions Allia, Paris, 2017, 48 ps.