Selon Jane Austen, il existe dans un lieu perdu du Sussex appelé « Evelyn » qui est un des plus beaux lieux d’Angleterre. Un jeune cavalier qui traversa vingt ans avant l’écrivaine le village éprouva la même impression. Il s’y arrêta et demanda s’il existait là une demeure à louer pour s’y installer.Mais sous le sémillant jeune homme se cache un bourgeois cynique et odieux. En trouvant une maison à son goût, il décide d’épouser la fille de ses loueurs et propose un marché pour le moins sordide et avaricieux. Il désire recevoir le beurre et l’argent du beurre, à savoir la fille aînée accompagnée d’une dote considérable (l’argent de la famille et tous ses biens).
Jane Austen renverse totalement la vision du gentilhomme romantique, doux, attentionné si appréciée dans les romans de l’époque. Le rustre et opportuniste Frederick Glower devient le modèle du parfait salaud et de l’absurdité quasi surréaliste d’un grotesque social qui se cache sous les apparences de bienséance bourgeoise. Dès ce texte de jeunesse, Jane Austen renvoie de la société une vision anticonformiste, subversive et d’une ironie violente.
Le style est sec, dégagé de toute graisse pour rendre insolites les choses les admises comme habituelles. L’Anglaise se débarrasse de tout sentimentalité ou compassion. Il y a là de nombreuses morsures qu’entraîne le modus existentiel d’une société rongée par l’argent et ses règles. « Evelyn » comme le reste du pays en est flytoxée. L’auteure en montre les ravages. Si bien que dans ce texte méconnu (et laissé à l’état de « work in progress »), elle est déjà celle qu’elle allait devenir : une pionnière des écrivaines modernes et révoltées. Virginia Woolf n’est pas loin.
jean-paul gavard-perret
Jane Austen, Evelyn, traduit de l’anglais par Jean-Yves Cotté, Editions Gwen Catala, 2017 — 9,00 €.