Les images sourdes et vibrantes d’Otto Ganz font toute la radicalité de sa peinture et de son écriture. Il ne s’embarrasse pas d’artifices : ses morts nous font face depuis des espaces désolés seuls ou en groupes dans des charniers dont le peintre rehausse les couleurs et l’écrivain les cris. Certes, il ne s’agit plus de l’exaltation des sens. Les narrations plastiques et poétiques sont terribles. Perdure néanmoins une dynamique viscérale par-delà les ossuaires. A l’amorphie, l’inanité, la peinture et l’écriture répondent par leur force.
Surgit dans ce qui est plus que l’esquisse une présence capable de demeurer formatrice ou conductrice dans le pétrissage des abîmes. Comme si, pour le créateur belge, il s’agissait de lutter en une stratégie particulière dans une pratique où le langage — quelle qu’en soit la nature — n’est pas dénué de compassion. La mort est convoquée, colonise la peinture et la pensée : comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? Mais dans une situation intenable et plongeant par avance dans les bras de la mort, Otto Ganz choisit la bonne manière de s’engager dans son passage irrévocable.
Jouant avec et de la camarde, il ne triche pas. Il crée un lien ombilical avec le creux orbital et le viol des yeux mais aussi il propose une confrontation avec l’innommable des “têtes mortes” chères à Beckett. Cela rend pour beaucoup l’œuvre insupportable. Mais c’est là tout son prix. Elle prouve que la peinture et la poésie « figurative » sont loin d’être exsangues : elles ont leur mot à dire. Otto Ganz en a donc fini avec la trahison ou le mensonge de l’exhibition des seuls temps forts pour la présence des temps « morts ». Il se refuse à les expulser. Il insiste même sur ce seul temps qui donne pourtant à la peinture et à la poésie toute leur force. Une émotion nouvelle surgit là où il n’y a que dissolution mais en même temps mise en scène de l’ombre par la lumière.
Avec Otto Ganz, le regardeur comme le lecteur est à la fois isolé et fasciné au sein d’une présence en creux où il n’y a plus d’individualisation mais seulement une évocation de la désintégration de l’être. Les peintures sont des métaphores d’angoisse. Tout se passe comme si le créateur voulait faire ressentir une conscience différente du monde et de l’être. Dans ce contexte, le déploiement des images et des mots indiquent l’affirmation formelle d’une extinction. Mais ce travail aveuglant oblige le « voyeur » à une confrontation communicante avec lui-même comme avec le cosmos dont il est un ciron tout au plus.
jean-paul gavard-perret
Otto Ganz, Du fond d’un puits, MaelstrÖm ReEvolution, Etterbeek, Belgique, 2017.