Elexeï Pavlioukov, Le fonctionnaire de la Grande Terreur : Nikolaï Iejov
Le révolutionnaire fonctionnaire
Nikolaï Iejov, c’est d’abord une image. Celle d’un petit individu sur une photographie, marchant à côté de Staline avant d’en être effacé. C’est ensuite une époque, la iejovschina, celle de la Grande Terreur stalinienne des années 1930, celle où le maître du NKVDorchestre les sanglantes épurations dans l’ensemble de la société soviétique. Le Géorgien trouva dans ce sinistre individu l’homme adéquat pour sa politique, entre fidélité, efficacité et cruauté.
C’est ce qui ressort très bien de la très complète biographie écrite par Elexeï Pavlioukov à l’aide d’archives soviétiques de première main. Iejov a tous les caractéristiques du dirigeant bolchévik : les mensonges sur ses origines sociales et son passé, l’engagement dans le communisme que dans une religion, la montée dans les échelons par l’épuration des impurs, la fidélité absolue dans le chef. Il y ajoute une compétence qui lui permet d’être remarqué par Staline qui en fait son homme de confiance.
La biographie permet en outre de bien saisir le mécanisme infernal conduisant à la Grande Terreur à partir du meurtre de Kirov, de comprendre le fonctionnement de cette machine diabolique des enquêtes, des arrestations, des interrogatoires et des grands procès.
Mais surtout la figure de Iejov apparaît dans toute sa clarté glaciale, celui d’un fonctionnaire efficace mais aussi d’un sadique participant lui-même à des séances de torture et même à des exécutions.
Mais l’enfant du stalinisme finit par être dévoré par le Saturne de Géorgie. En effet, Staline se rend compte, grâce aux courriers qu’il reçoit, qu’une grande partie de la population soviétique rejette la responsabilité de la terreur sur le NKVD et Iejov. Ainsi, pour mieux se préserver, il décide de l’offrir, en le sacrifiant, à son opinion publique. En douceur et par étapes (dont la principale est l’arrivée sur scène du plus sinistre encore Beria). Sombrant dans une angoisse terrible, miné par l’alcoolisme, il n’est pas capable de résister aux accusations et au rouleau compresseur de ses ennemis. Il disparaît alors dans la nuit et la mort non sans s’être livré à une belle autocritique. En bolchévik véritable !
Car, retenons bien que Iejov n’est pas seulement un fonctionnaire imprégné de la banalité du mal. Il croit au communisme et au stalinisme. Il est un révolutionnaire.
frederic le moal
Elexeï Pavlioukov, Le fonctionnaire de la Grande Terreur : Nikolaï Iejov, Gallimard, 2017, 653 p. – 32,00 €.
