Thierry Metz , L’homme qui penche


Jour­nal d’un “fou”

Repre­nant une nou­velle ver­sion du Jour­nal d’un fou de Gogol, Thierry Metz met le doigt sur l’impossibilité d’être. Chez l’écrivain russe, elle était liée à des contin­gences plus exté­rieures. Chez Metz, elle est plus per­son­nelle. « L’homme pen­ché est l’homme qui tombe » écrit celui qui à tra­vers sa chair et son esprit s’est rapa­trié dans l’hôpital psy­chia­trique où il vient se « cacher au centre de ce qui se passe » et au milieu des écor­chés du monde errants et assom­més par les neu­ro­lep­tiques.
Il n’est pas fou. Pas plus que nous. Thierry Metz est maçon et poète : « Il est arrivé par un bus à l’hôpital avec ses mains cal­leuses et un cahier. Au début, il croit que le chan­tier est à l’intérieur, mais dès qu’il trace des mots, dedans et dehors volent en éclats » écrit Cédric Le Peven en sa belle préface.

Dans la pri­son res­ser­rée, com­pri­mée en un der­nier lieu scé­nique, la rela­tion des per­son­nages entre eux ou avec eux-mêmes n’est plus domi­nante ou impé­ra­tive. La vie n’est plus atta­chée à des évé­ne­ments, à une action, aux rela­tions inter­per­son­nelles ou à un quel­conque pathos. La seule image qui demeure est l’image presque impal­pable d’un moi impos­sible, d’un impos­sible accès à l’être. Ce qui se cris­tal­lise dans le livre est une suite d’états cor­po­rels d’êtres fan­to­ma­tiques dont la pré­sence est, presque, une absence.
Ce qui reste du corps et de la psy­ché, par l’oblitération de leur ensemble, donne l’impression que ces der­niers indices n’appartiennent plus à l’être, en ce qu’il est convenu d’appeler son inté­grité constitutive.

L’auteur se trouve affecté d’un état de déta­che­ment mais aussi de trouble. Il tente — comme l’écrivait Beckett — de “croas­ser” encore un peu, tout en ayant perdu même la notion de soi : il ne sait plus ce que sait là où l’écriture tente d’ « agir » soli­dai­re­ment, soli­tai­re­ment. Metz est, non seule­ment, mal­mené par lui-même mais, comme ses « frères », sou­mis à tout un méca­nisme de contraintes étouf­fantes et aux­quelles il ne peut jamais don­ner de nom. Au mieux il dérive autour de ce qui le décentre de lui-même. Dans une attente sans fin et l’affaissement d’un fatum. C’est l’anarchie du clair– obs­cur.
Les pirouettes ver­bales res­tent inopé­rantes. Les êtres sont livrés au plus nu dans une sorte de point zéro d’énergie. Mais l’auteur touche à une vision plus mythique digne d’évoquer un lieu où il n’existe, au-delà de toute visée psy­cho­lo­gique, ni liberté, ni volonté au moment où illu­sion est retirée.

jean-paul gavard-perret

Thierry Metz ‚ L’homme qui penche, édi­tions Unes, Nice, 2017, 112p. — 19,00 e €.

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