En septembre 1875, après une année de médecine, Helen Coostle, dix-huit ans, est venue passer quelques jours de vacances chez sa grand-mère dans le village de Kanderley, en Irlande. En rentrant du village, où elle a appris qu’une douzaine de personnes avaient été assassinées depuis le début de l’été, dont quatre du village, elle croise la route d’un étrange mendiant qui lui fait peur. Sa grand-mère la rassure et tente de minimiser les racontars, ajoutant que, parmi ceux-ci, il y a la tour que l’on dit hantée, derrière la maison.
Le lendemain, lors de sa promenade, Blessed, un vieillard, interpelle Helen. Il a tant vu de choses depuis qu’il est né et il est prêt à les raconter. Ainsi, il a vu quand le Dr Frankenstein est venu d’Ecosse pour s’installer au village. Il a, d’ ailleurs, réuni tout un tas de merveilles de cette époque dans un musée au sein de la tour. Il la convainc de venir le visiter. La pièce maîtresse est un sarcophage où repose la créature revenue mourir ici.
La nuit, Helen, troublée par sa visite, ne trouve pas le sommeil. Elle entend des bruits étranges, mais ne voit rien depuis sa fenêtre. Mais, le lendemain, elle trouve Percitt, l’énorme Boxer de sa grand-mère, mort les vertèbres cervicales broyées. Helen prend peur et propose à son aïeule de faire venir Archibald Barrows, son professeur d’anatomie. Elles seraient moins isolées après les événements de la nuit et il pourrait examiner la chose dans le sarcophage, s’assurer qu’elle est bien morte. Celui-ci arrive quatre jours plus tard, accompagné de Gordon Mallorey, un jeune journaliste de La Gazette de Belfast. Il installe un laboratoire dans le grenier de la demeure et a fait appel aux compétences du Dr Edwardes. Les diverses expériences menées sur la dépouille ne permettent pas de déceler la moindre trace de vie. Alors qu’ils rangent le matériel, Helen sent un regard dans son dos. La main qui pendait s’est fermée et par la phalange coupée pour analyses, un sang rouge, un sang de vivant s’écoule et forme une petite flaque…
Helen ne sait pas encore qu’elle va vivre dans les jours suivants une succession d’événements dramatiques. Dans Le Pas de Frankenstein, l’action se déporte sur une des îles du nord de l’Écosse. La créature, ressuscitée, soumise à une solitude qu’elle en supporte plus, hante et terrorise le monde, voulant le détruire.
C’est Mary Shelley qui a donné naissance à ce nouveau Prométhée qui tente de vaincre la mort en créant un être doté d’une vie à partie de chairs mortes. Dans ce roman gothique par excellence, la jeune femme intègre des éléments de fantastique et d’épouvante qui deviendront des stéréotypes et acquérront une dimension philosophique. L’Histoire retient que c’est à la suite de son deuil, après la perte de son bébé de sept mois, qu’elle a écrit ce livre. Avec ce récit, la romancière développe et illustre plusieurs idées fortes telles que la victoire sur la mort, la recherche de l’amour, la différence qui fait rejeter d’une communauté, la rudesse de la solitude…
Une première version, parue en 1818, est suivie d’une seconde en 1823 pour arriver au texte définitif publié en 1831. Il faut noter que c’est seulement en 1922 que le livre est traduit en français. Armand De Caro, avec trois associés, fonde les Éditions du Fleuve Noir en 1949 et crée la collection Angoisse en 1954. L’éditeur a besoin de nombreux textes. Les pseudonymes sont monnaie courante, presque imposés et servent, parfois, à plusieurs romanciers. Ainsi, Benoit Becker est utilisé par quatre auteurs dont Jean-Claude Carrière et Christiane Rochefort avant qu’elle n’atteigne la notoriété avec Le repos du guerrier. C’est ainsi que Carrière, scénariste débutant, donne six romans, entre 1957 et 1959, dont l’intrigue s’appuie sur la créature de Frankenstein. Le tome 1 porte le numéro 30 dans la collection et le second est numéroté 32.
Il retient l’axe de l’angoisse bien sûr et celui de la terreur. Il fait de la créature un objet de peur, d’anxiété. Dans La Tour de Frankenstein il fait la part belle à l’héroïne, une jeune femme étudiante en médecine. Il choisit ainsi une exception car, en 1875, au cœur de l’époque victorienne, elles sont peu nombreuses à pouvoir le faire.
Il reste quelques soucis de cohérence. Ainsi, l’action se déroule en 1875. Helen rencontre Blessed qui avoue ses 88 ans, mais est né en… 1878 ! Et puis comme le docteur a disparu, Benoit Becker lui invente un remplaçant qui veut, dans Le Pas de Frankenstein, donner une compagne à sa création et menace des jeunes femmes.
Ces romans se lisent avec plaisir car l’auteur déploie les éléments représentatifs d’un genre où l’action se drape de mystère, où la menace connue va fondre sur des victimes… Il est intéressant de retrouver ces textes alors que les originaux sont devenus des raretés qui atteignent des prix élevés chez les bouquinistes spécialisés.
serge perraud
Benoit Becker (Jean-Claude carrière), Frankenstein t.1 “La Tour de Frankenstein”, t.2 “Le Pas de Frankenstein”, french pulp, janvier 2017, 328 p. – 9,50 €.