Marseillais, Fourvel le fut et le reste, mais il est devenu moins poète du sud que prosateur des mondes. Ami de J-J Viton, passionné du cinéma (l’italien mais aussi Bergman, Cassavetes et forcément Guediguian), lecteur d’Arno Schmidt, Calet et Beckett, il est devenu Franc-Comtois, père, lecteur des écrivains japonais et toujours découvreur de cités dont Montevideo, « la ville posée à l’endroit où l’on a besoin de s’imaginer vivre quand la vie est mélancolique ».
Tel un nouveau Pérec (celui de Je me souviens, Fourvel fait de son Ce qu’il aurait fallu et comme il le précise « une petite bille lancée à la base du grand échafaudage tordu » qu’est notre monde. Il en décode les pièges dès la couverture avec l’allusion aux fameux cadeaux Bonux (« première œillade du capitalisme au consommateur ») et des T-Shirt Calvin Klein qui affichaient en flagrant délit leur marque.
Mais – et pour en revenir à Pérec – il ne se limite pas aux « choses » : les maîtres de la politique, du sport, de la culture sont épinglés en tant qu’épigones ou porcs épiques de notre désastre et de notre société de spectacles avariés. Ils ne sont pas les seuls. L’auteur met dans leurs rangs bien des communs des mortels qui se font les complices de leur monde : « il aurait fallu que les gens refusent dans les bars de s’asseoir sur des chaises Coca-Cola, Ice Tea, Red Bull ou je ne sais quoi d’autres. Que chacun refuse de poser son cul sur une publicité ». Et l’auteur d’ajouter : « j’en avais marre d’entendre que le temps libre n’était questionnable que du point de vue économique ».
Le livre est un appel à la liberté contre la vulgarité de l’époque. Et les changements politiques n’y changent rien. Il y a autant Roland Dumas que Raffarin (Fillon n’était pas encore dans l’actualité). A l’inverse de Perec, l’auteur se fait plus engagé voire cultive une certaine violence : elle est de bon aloi et va jusqu’à l’humour lorsqu’il précise que, pour être un plus convaincant modèle social, « Il aurait fallu que Zidane soit non seulement kabyle mais homosexuel et qu’il ait lu tout Georges Perec et tout Jean Genet. »). Mais à l’impossible nul n’est tenu.
Fourvel feint de ne rien inventer, de se contenter d’assembler et d’agencer différemment les pièces de notre puzzle commun. Il prend en patience leur puissance avant de l’exécuter afin qu’elles évitent de nous submerger. Face à leur marée haute, les mots tournent le dos aux idées reçues. Il faut donc les prendre au mot afin que “ce qui est dit soit dit”. Fourvel fait disparaître les ombres tutélaires des maillons de la longue chaîne qui nous plonge dans les ténèbres.
Le livre devient la fiction du réel en son agencement afin de rompre avec son asservissement. Contre une forme de perte de mémoire qui fonde le “confort” du temps, l’auteur libère le monde en l’ouvrant pleinement au mouvement de l’écriture dont la force subjugue et provoque un tsunami. Les mots sont donc nécessaires, sinon à la venue de la lumière, du moins à leur approche. L’acuité du regard que porte l’auteur sur le monde permet en effet une plongée dans les couches géologiques de la mémoire collective et familiale. Elle reste le projet capable de laisser émerger l’obscure matrice dont nous provenons. Il s’agit d’une littérature d’émergence face à la disparition, l’abondance et la déréliction.
jean-paul gavard-perrret
Christophe Fourvel, Ce qu’il aurait fallu, Atelier Contemporain, Strasbourg, 2017.