Christophe Fourvel, Ce qu’il aurait fallu

Le monde tel qu’il est

Marseillais, Four­vel le fut et le reste, mais il est devenu moins poète du sud que pro­sa­teur des mondes. Ami de J-J Viton, pas­sionné du cinéma (l’italien mais aussi Berg­man, Cas­sa­vetes et for­cé­ment Gue­di­guian), lec­teur d’Arno Schmidt, Calet et Beckett, il est devenu Franc-Comtois, père, lec­teur des écri­vains japo­nais et tou­jours décou­vreur de cités dont Mon­te­vi­deo, « la ville posée à l’endroit où l’on a besoin de s’imaginer vivre quand la vie est mélan­co­lique ».
Tel un nou­veau Pérec (celui de  Je me sou­viens, Four­vel fait de son Ce qu’il aurait fallu et comme il le pré­cise « une petite bille lan­cée à la base du grand écha­fau­dage tordu » qu’est notre monde. Il en décode les pièges dès la cou­ver­ture avec l’allusion aux fameux cadeaux Bonux (« pre­mière œillade du capi­ta­lisme au consom­ma­teur ») et des T-Shirt Cal­vin Klein qui affi­chaient en fla­grant délit leur marque.

Mais – et pour en reve­nir à Pérec – il ne se limite pas aux « choses » : les maîtres de la poli­tique, du sport, de la culture sont épin­glés en tant qu’épigones ou porcs épiques de notre désastre et de notre société de spec­tacles ava­riés. Ils ne sont pas les seuls. L’auteur met dans leurs rangs bien des com­muns des mor­tels qui se font les com­plices de leur monde : « il aurait fallu que les gens refusent dans les bars de s’asseoir sur des chaises Coca-Cola, Ice Tea, Red Bull ou je ne sais quoi d’autres. Que cha­cun refuse de poser son cul sur une publi­cité ». Et l’auteur d’ajouter : « j’en avais marre d’entendre que le temps libre n’était ques­tion­nable que du point de vue éco­no­mique ».
Le livre est un appel à la liberté contre la vul­ga­rité de l’époque. Et les chan­ge­ments poli­tiques n’y changent rien. Il y a autant Roland Dumas que Raf­fa­rin (Fillon n’était pas encore dans l’actualité). A l’inverse de Perec, l’auteur se fait plus engagé voire cultive une cer­taine vio­lence : elle est de bon aloi et va jusqu’à l’humour lorsqu’il pré­cise que, pour être un plus convain­cant modèle social, « Il aurait fallu que Zidane soit non seule­ment kabyle mais homo­sexuel et qu’il ait lu tout Georges Perec et tout Jean Genet. »). Mais à l’impossible nul n’est tenu.

Four­vel feint de ne rien inven­ter, de se conten­ter d’assembler et d’agencer dif­fé­rem­ment les pièces de notre puzzle com­mun. Il prend en patience leur puis­sance avant de l’exécuter afin qu’elles évitent de nous sub­mer­ger. Face à leur marée haute, les mots tournent le dos aux idées reçues. Il faut donc les prendre au mot afin que “ce qui est dit soit dit”. Four­vel fait dis­pa­raître les ombres tuté­laires des maillons de la longue chaîne qui nous plonge dans les ténèbres.
Le livre devient la fic­tion du réel en son agen­ce­ment afin de rompre avec son asser­vis­se­ment. Contre une forme de perte de mémoire qui fonde le “confort” du temps, l’auteur libère le monde en l’ouvrant plei­ne­ment au mou­ve­ment de l’écriture dont la force sub­jugue et pro­voque un tsu­nami. Les mots sont donc néces­saires, sinon à la venue de la lumière, du moins à leur approche. L’acuité du regard que porte l’auteur sur le monde per­met en effet une plon­gée dans les couches géo­lo­giques de la mémoire col­lec­tive et fami­liale. Elle reste le pro­jet capable de lais­ser émer­ger l’obscure matrice dont nous pro­ve­nons. Il s’agit d’une lit­té­ra­ture d’émergence face  à la dis­pa­ri­tion, l’abondance et la déréliction.

jean-paul gavard-perrret

Chris­tophe Four­vel, Ce qu’il aurait fallu, Ate­lier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2017.

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