Jean-Claude Pirotte, Portrait craché

Jean-Claude Pirotte l’éternel exilé

Par une mul­ti­tude de textes d’une redou­table d’efficacité, Jean-Claude Pirotte n’a cessé de remettre en ques­tion les idées, les valeurs, les sys­tèmes, les acquis, tant moraux qu’esthétiques de nos socié­tés. Ce fut aussi un per­son­nage atta­chant bien connu des cafés. L’ironie reste sa force. Elle est le résul­tat de l’alchimie sai­sis­sante entre les épreuves de la vie et la dis­tance avec laquelle il a su les prendre peu à peu jusqu’à fran­chir par­fois des fron­tières et deve­nir un hors– la-loi.
Alter ego d’un Pre­vel, le « négligé des lec­teurs, presque incon­gru » il fut à sa manière — comme lui et comme Artaud — un sui­cidé de la société même si le Belge sut com­po­ser avec elle, la noyant au besoin dans le vin. C’est pour­quoi cet homme « à antennes » a créé une œuvre qui attire et hante. Il ose la mau­vaise mine qui effraie les habi­tués des serres chaudes des modes et des écoles poé­tiques. Sachant que « le beau est tou­jours bizarre » (Bau­de­laire), il n’hésite jamais à l’extirper d’où on ne l’attend pas : des rues sor­dides, des « bar­rières », des rebuts et de toutes les formes de la prostitution.

Pirotte sait que seuls les abru­tis voient le beau dans les belles choses. Il pro­pose donc un autre point de vue, un autre miroir. Evi­tant l’esthétisme de la poé­sie de déco­ra­tion, le poète d’outre-Quiévrain prouve qu’il en existe une autre forme. Celle de ces irré­gu­liers de la langue qui abordent les ques­tions sérieuses avec humour et dis­tance, qui uti­lisent la déri­sion et le « mau­vais goût », la tri­via­lité et la vinasse (au besoin) pour trai­ter d’idées com­plexes.
Pirotte n’a jamais peur du gro­tesque. Elle fait sa force. Elle lui per­met de mon­trer l’état de ce qui est entre le grand et le petit, entre le bon et le mau­vais et de mon­ter en épingle l’insuffisance de qua­lité humaine dans la condi­tion du même nom. Bâtard parmi les bâtards, son outrance échappe à tout cou­rant. Il n’est pas de ces poseurs qui par leur dimen­sion tri­viale cherchent à épa­ter le lecteur.

Il a fini sa vie malade, seul, accro­ché aux mots mais ne se croyant plus poète (l’a-t-il cru un jour ?) mais bien plu­tôt condamné de tou­jours. : « J’aurai vécu en com­pa­gnie de la mort depuis ma prime enfance». L’auteur de romans comme de poèmes, lec­teur de Pre­vel déjà cité mais aussi de Jou­bert et Dhô­tel, a fait de son Por­trait cra­ché un livre tes­ta­men­taire dans lequel il résiste mal « à cette huma­nité mori­bonde où le silence et la mort sont sia­mois » au nom de « La lit­té­ra­ture comme remède ».
Pirotte pro­pose à l’espèce humaine de s’éteindre gen­ti­ment à jamais mais en ne ces­sant pas de pro­créer. Et peu importe si cela gène les pisse-vinaigre. En ce liquide,  il rajoute même une « mère ». L’humour, la facé­tie créent ainsi de fan­tas­tiques — et au sens pre­mier — foi­rades. L’idée de raf­fi­ne­ment y est dévoyée au pro­fit d’un dépla­ce­ment des valeurs en une quête d’infinie liberté qui trouve là un terme. Il devint peu à peu étran­ger à lui-même comme au monde, pesant les der­niers bagages de sa pen­sée et occupé à « pro­cé­der au recen­se­ment des douleurs ».

Celui qui se défi­nis­sait modes­te­ment comme “un peintre du dimanche et un écri­vain du samedi” (mais qui a publié une tren­taine d’ouvrages dont plu­sieurs ont été cou­ron­nés par des prix lit­té­raires), celui qui n’hésita pas à sou­li­gner la mocheté, la saleté, la plu­vio­sité et la misère savait aussi faire sur­gir la beauté là où on ne l’attendait plus. De l’intraitable Ardenne — où la rumeur patoi­sante et non dénuée d’ironie cultive jalou­se­ment ses loca­lismes, ses bar­ba­rismes, ses mots de passe – il créa un uni­vers qui tient de Rim­baud, de Dhô­tel et de leur inavouable iro­nie.
L’écrivain, pour sa part, osa faire hur­ler en pre­nant le risque de “se faire trai­ter de fou »

jean-paul gavard-perret

Jean-Claude Pirotte , Por­trait cra­ché, Le Cherche Midi, 2017, 191 p. - 16,50 €.

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