Quoi de plus chafouin et cauteleux, de prétentieux aussi, que ce prétendu exercice d’humilité ? L’outrecuidance de la pose est mise en forme dès la couverture du livre : plutôt que de présenter le titre discursif du livre on préfère afficher le sous-titre english « streetwear poem ». Cela fait plus chic, d’autant que les mots naviguent en rouge et blanc. Ce déguisement ou sous-texte est idéal à un exercice crasse de creux-ation. L’auteur feint d’être le plus discret des poètes penseurs. Il n’en devient que la contrefaçon. Certes, il revendique une absence de style. Elle se confirme à chaque page. D’autant qu’elle se veut visible afin d’en imposer. Existe donc une gymnastique de type GRS pour lecteurs réduits au statut de handicapés mentaux.
Le tout dans un brouet d’afféteries aussi spécieuses que taillées à la serpe. L’artiste y propose un énième “ars poetica”. Il n’ouvre que des portes non seulement ouvertes mais dégondées depuis longtemps. D’où un filage assez sidérant d’idées reçues. Le rouge est mis dès le début du texte (ou plutôt de l’ouvrage — la différence est importante) : « le réel/augmente/le poème diminue ». Quant à rappeler que la poésie est un « genre » (glups !) ou que certains s’en beurrent le bénitier et d’autres l’ego (Pernet au premier chef), cela ne fait guère avancer le schmilblick.
Tout est convention jusqu’au « poing dans la gueule » que le penseur prétend nous asséner. L’uppercut n’est pas utile : il y a longtemps que le lecteur a abandonné le ring où Pernet, faute d’opposants, n’ose même plus affronter son ombre. Néanmoins, tout est bon pour son ire et son aura. Non à la poésie engagée, non la poésie dégagée : tels sont les poncifs poussifs du nouvel Homère. Et le précieux ridicule de donner ses leçons de régulation.
Tel un politicien populiste candidat aux élections présidentielles de la poésie, il feint de racoler en rameutant la vielle antienne : la poésie est faite par tout le monde. Toutefois et de facto, Pernet rappelle très vite qu’elle ne peut porter ce nom que sous ses mains de maître brasseur. Et qu’importe si du « bleu du ciel » il ne retient que le romantisme chromo en ignorant celui de Bataille.
Existe non seulement un monde mais une galaxie entre le babillage tel que l’entendent Prigent ou Novarina et ce à quoi le réduit l’oiseleur. Bien sûr, il ne rate pas l’occase de faire la morale. C’est d’ailleurs même le principe des ostentateurs d’ego. Il est vrai que la prétention a rarement été portée si loin — à défaut de haut — dans ce qui tient d’un concours de pissat dans une cours de récréation.
L’auteur (enfin presque) ne s’arrête pas en si bon chemin. La nullité du discours est à peu près intégrale.
Et lorsque l’artiste lance son « je n’ai même plus l’impression d’être poète » : qu’il se rassure, son livre le confirme. Et lui de le renchérir au passage en se fendant d’aphorismes. De quoi offrir au lecteur l’occasion de se taper une franche rigolade là où pourtant Pernet estime lui donner des sueurs froides : « Si rien n’est vrai, tout n’est pas pour autant complètement faux. » N’est pas Hitchcock qui veut. Et poète pas plus.
jean-paul gavard-perret
Hugo Pernet, Je vais simplement m’habiller comme tout le monde : Streetwear Poem, série discrète, 2017, n.p., 2017 — 9,00 €.