L’esclave rouge – oser le corps
Choisissant le français — car la « vraie » réalité a besoin d’être soutenue par les langues plurielles qui ont fait l’Algérie -, Samira Negrouche prouve que le corps humain comme le corps politique est en mouvement ou n’est rien. La poétesse algérienne se bat contre tout ce qui pèse sur lui, l’entrave en choisissant le risque et en rameutant des mémoires intimes qui s’osent dans ce mouvement qui est « ce que nous voulons bien retenir des ruines de Tipasa entre la célébration et la vie, la célébration et la liberté ». D’où sa lutte pour une culture ouverte et à l’écoute de ce qui se meut alentour.
La poétesse n’oublie pas l’humiliation des femmes, ose son identité sans regarder ailleurs et en reprenant la parole face à ceux qui voudraient la contraindre au silence. Samira Negrouche écrit une poésie du corps, celle du désir non entravé dans le sillon des Pasolini, Nicole Brossard, Rimbaud et Sénac, bref tous ceux qui ont osé les ventres rejetés dans l’ombre. Et l’auteure de revendiquer son état : « Je suis au sud de la vie avec ma mémoire d’esclave rouge de ce sang imbibé de nos craintes». Elle les surpasse dans l’exploration d’un langage qui impacte le réel loin de toute déréalisation.
Ses textes forment une mer d’expériences qui traversent la durée. Ils sont aussi des étincelles qui, à force, ne peuvent plus être absorbées par la neutralité de l’obscur sans fond des idéologies dominantes. Le seul moyen d’exister est de rester dans le présent d’un corps désirant et libre soutenu par la conscience qu’un excès charnel doit se revendiquer comme tel.
La poétesse rappelle qu’une vie dont le corps ne déborde pas de son lit se détache de ce qui la fait. D’où cette écriture essentielle qui dilate le présent. Lui seul permet à l’existence de se développer jusqu’à mettre en mouvement la société. Une telle poétique est donc globale. Sans doute aussi parce que Samira Negrouche tire d’elle-même l’impératif de parler afin que jaillissent des formes occultées et différentes de la réalité.
jean-paul gavard-perret
Samira Negrouche,
- Cabinet secret , Editions Color Gang, 2017.
– Le Jazz des oliviers, Éditions du Tell, 2017.