Fabrice Bouthillon, L’impossible Université

Vive l’Université !

L’Uni­ver­sité fran­çaise est mal au point. Inutile de lire les divers clas­se­ments inter­na­tio­naux pour le savoir. Il suf­fit de la fré­quen­ter pour s’en aper­ce­voir. Peut-on s’y résoudre ? Accep­ter sans rien dire le déla­bre­ment d’une ins­ti­tu­tion, lieu par excel­lence de la liberté intel­lec­tuelle ? Fabrice Bou­thil­lon ne s’y résout pas. Ainsi appelle-t-il dans un essai déca­pant à des mesures dra­co­niennes : la sup­pres­sion de l’agrégation, du Conseil Natio­nal des Uni­ver­si­tés et des classes pré­pa­ra­toires, et de facto à celle de l’Ecole Nor­male Supé­rieure.
L’auteur est pour­tant un pur pro­duit du sys­tème fran­çais : classes prépa Lettres à Louis le Grand, Nor­male Sup, agré­ga­tion, Ecole fran­çaise de Rome, doc­to­rat, pro­fes­seur d’Université. Pour­tant, avec un grand cou­rage, il en appelle à une recons­truc­tion totale et s’imagine ministre de l’Education, juste le laps de temps suf­fi­sant pour signer ces trois décrets !

Amou­reux de l’Université, Fabrice Bou­thil­lon dis­cerne les maux qui l’accablent : la main­mise de l’Etat via le pro­gramme de l’agrégation qui pré­pare les futurs pro­fes­seurs à tout sauf à ensei­gner dans le secon­daire ; le temps qu’y consacrent les uni­ver­si­taires au détri­ment de leurs tâches de recherche ; le « sésame » qu’elle consti­tue pour le recru­te­ment uni­ver­si­taire, ce qui place l’agrégé ou l’ingénieur au-dessus du doc­teur. En pas­sant, il étrille le CNU que les aspi­rants au poste de maître de confé­rences connaissent bien, accusé d’être un sys­tème « fon­da­men­ta­le­ment poli­cier » et une « machine à fabri­quer du confor­misme ».
Quant aux classes prépa, elles ne se relèvent pas d’une attaque en règle. Ce joyau du sys­tème fran­çais – que per­sonne au monde ne nous envie d’ailleurs – serait un bagne, le cœur d’une « édu­ca­tion à l’arrogance intel­lec­tuelle », une « inci­ta­tion à l’écrasement de l’autre » et à « l’isolement de cha­cun ». Quant à Nor­male Sup… la condam­na­tion est sans appel : « un néant intel­lec­tuel ».

Donc, d’après lui, il faut tout sup­pri­mer pour redon­ner à l’Université son lustre, œuvre de longue haleine qui passe aussi – l’auteur l’évoque mais il faut vrai­ment insis­ter là-dessus – sur la sélec­tion des étu­diants, sur l’autonomie et l’enracinement local. Une fois le conte­nant conso­lidé, il fau­dra aussi s’occuper du contenu bien sûr. L’exemple résiderait-il dans les sys­tèmes anglais et alle­mand, l’un ayant main­tenu le sport et l’autre Dieu dans les pro­grammes uni­ver­si­taires ?
En vérité, Fabrice Bou­thil­lon montre très bien, en bon his­to­rien qu’il est, que notre sys­tème est l’héritier de notre his­toire : l’influence de l’enseignement des Jésuites ; la Révo­lu­tion, sa pas­sion éga­li­taire et sa cen­tra­li­sa­tion ; Bona­parte et sa méfiance à l’encontre des esprits libres de l’Université ; d’où le poids écra­sant d’un sys­tème secon­daire – auquel appar­tiennent les classes prépa – sous contrôle de l’Etat. Il ne sera pas facile de s’en libé­rer.
Sans se conten­ter de dénon­cer, Fabrice Bou­thil­lon pro­pose des réformes auda­cieuses : une nou­velle forme de recru­te­ment des pro­fes­seurs du secon­daire ; le trans­fert aux uni­ver­si­tés de la sélec­tion de ses pro­fes­seurs (le titre de maître de confé­rences ayant été aboli) et leur trans­for­ma­tion en fonc­tion­naires territoriaux.

Espé­rons que ce brillant essai sus­ci­tera dis­cus­sions et contro­verses. C’est ce qui arri­ve­rait dans un pays normal.

fre­de­ric le moal

Fabrice Bou­thil­lon, L’impossible Uni­ver­sité, édi­tions dia­logues, jan­vier 2017, 107 p. — 15,00 €.

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