Pour une histoire du Surréalisme
Jacquet Doucet (1853–1929),grand couturier, mécène et collectionneur fait la connaissance à la fin de sa vie d’André Breton. Jusque là, André Suarès rencontré 8 ans plus tôt (et avec lequel il entretient une longue correspondance littéraire,) fut son conseiller. Il lui suggère la création d’une bibliothèque consacrée à la littérature des modernités. Doucet suit son conseil et la Bibliothèque acquiert aussi des manuscrits de grands précurseurs : Stendhal, Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud, etc. Jacques Doucet rencontre alors des auteurs en devenir et s’éloigne de Suarès.
Le jeune poète André Breton devient le bibliothécaire et le conseiller artistique du collectionneur (rejoint bientôt par Louis Aragon. Ils orientent les collections de la Bibliothèque vers le surréalisme : leurs manuscrits et ceux de Paul Eluard et Tristan Tzara viennent enrichir la bibliothèque. Mais suite à des « malentendus acceptables », la collaboration avec le couturier prend fin. Les lettres réunies ici en portent la trace. Elles sont aussi l’image de l’état d’avancement du surréalisme non seulement sur la chose littéraire. Breton demande par exemple à Doucet d’acheter « Les Demoiselles d’Avignon » : «Il s’agit pour moi d’une image sacrée.».
L’auteur reste forcément dans ses lettres l’obligé de Doucet. Mais il parle abondamment de ses propres œuvres. Ce qui a pu en partie exaspéré son “employeur”. Parfois, Simone Breton prend le relais du futur pape du Surréalisme afin de faire passer certains « refus » et leurs excuses. Mais peu à peu les non-dits pèsent sur les missives : « je ne vais pas plus mal en l’absence de toutes nouvelles et je reste sur l’impression de vos dernières paroles toujours si parfaitement bonnes pour moi » écrit-il en avril 1925. Les jeux sont faits. De la « respectueuse affection » tant ressassée par Breton ne restera que le respect — de façade ou non.
Une histoire se terminait de manière policée. Breton allait régner sur les lettres, Doucet s’en retirer, peu persuadé que Breton était comme il lui écrivait « peu enclin à tout calcul ». Néanmoins, un beau travail avait été fait par celui qui fut bien plus qu’un simple employé du collectionneur auquel il donne une foule d’appréciation et d’avis. Sur Freud par exemple. Quant à Marinetti, il est quelque peu égratigné au profit de Tzara et de Soupault. Face au Futurisme, le Surréalisme naissant allait trouver sa place..
jean-paul gavard-perret
André Breton, Lettres à Jacques Doucet (1920–1926), présentées et éditées de E-A Hubert, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2016, 272 p. — 21,00 €..