Valentine Meydit-Giannoni, Grignan / Le paysage chez Philippe Jaccottet comme cahier de verdure

Jaccot­tet héri­tier de Rousseau

La poé­tique de Jac­cot­tet se situe dans une expé­rience visuelle qui va elle-même trou­ver son accom­plis­se­ment à Gri­gnan. Le « cahier de ver­dure » du lieu est bien dif­fé­rent du bas­sin léma­nique. Néan­moins, fidèle à Rous­seau et ses dépla­ce­ments, Jac­cot­tet trouve en Haute Pro­vence une dia­lec­tique de la pré­sence et de l’absence, du visible et de sa dou­blure d’invisible.
Valen­tine Meydit-Giannoni le montre par la méta­mor­phose d’un tra­vail uni­ver­si­taire (dans la suite des tra­vaux de Merleau-Ponty, Gil­bert Durand, Ricoeur entre autres) en un hom­mage et une ouver­ture. L’œuvre de Jac­cot­tet (avec celle de Bon­ne­foy) reste un en effet un des musts des études uni­ver­si­taires sur la poé­sie du temps. Mais la jeune cher­cheuse illustre de manière impres­sive com­ment chez le pre­mier la Drôme est deve­nue son « lieu d’une habi­ta­tion poé­tique du monde et de la langue » (sous-titre de son livre).

Dans des temps de doute, l’œuvre change le vide en plein. Jac­cot­tet rend sen­sible l’évidence pay­sa­gère par ses sou­ve­nirs du pré­sent. A tra­vers les mots, le poète dédouble en per­ma­nence la per­cep­tion. Ce qui s’éboule ou s’assèche, Jac­cot­tet le relève selon divers plans où la poé­sie — lorsqu’elle sort des Car­nets - voit le « je » dis­pa­raître au pro­fit de mots « déman­geurs ». Ils décapent les appa­rences afin que tout fer­mente, dérange l’ordre du monde en un parti pris des choses bien dif­fé­rent de celui d’un Ponge.
L’intervention poé­tique crée un dis­po­si­tif de trans­port d’images optiques où aux champs de neige font place ali­gne­ments d’oliviers et champs de lavande. Preuve, comme le sou­ligne la jeune auteure, que la poé­sie « pay­sa­gère » reste autant mou­ve­ment du temps. Les textes du Vau­dois pro­longent les cycles dans des jeux de rémi­nis­cences. En jaillit une recon­nais­sance atten­tive et inédite de la Haute Pro­vence. Elle est entraî­née dans une suite de méta­mor­phoses et d’impressions à la fois inhé­rentes aux lieux mais tout autant déta­chées de leur contexte.

Le cumul des affects pro­vo­qués par la per­cep­tion réin­tègre la vie dans un cir­cuit qui se moque de la perte d’énergie que la vieillesse apporte. Le poète invente une sus­pen­sion du monde objec­tif au sein d’une sai­sie phy­sique dont les mots deviennent les inter­faces de sin­gu­la­rité. Elles ramènent à la rétine des images inédites qui rendent pré­sent jusqu’à une cer­taine absence.
Le jeu appa­rem­ment libre de l’imaginaire ne peut néan­moins exis­ter sans le cadastre drô­mois dont l’auteur sai­sit l’essence tout en ne le pri­vant jamais de sa vie à laquelle tant d’autres poètes oublient de faire une place dans ce qui, en elle, se dérobe et qu’ils laissent échap­per. La Haute Pro­vence devient « l’immobile foyer de tout mou­ve­ment » qui per­met au poète de se remettre an che­min. Preuve qu’entre lui et Rous­seau, et au-delà des époques, existent l’immédiateté et la per­sis­tance d’une parole de la nature. Les deux en retiennent comme l’écrit Jac­cot­tet l’insistance « tou­jours aussi vive et déci­sive, comme une décou­verte chaque fois sur­pre­nante » capable de lut­ter contre l’angoisse inhé­rente à l’humain.

jean-paul gavard-perret

Valen­tine Meydit-Giannoni, « Gri­gnan / Le pay­sage chez Phi­lippe Jac­cot­tet comme cahier de ver­dure »,  Edi­tions Marie Delarbre, coll. Théo­ries, Gri­gnan 2016.

 

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