Frédéric Grolleau, Hieronymus — Moi, Jérôme Bosch ou la vie du peintre des enfers

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L’auteur signe là son ouvrage le moins mauvais

C’est d’une idée sédui­sante que pro­cède l’ouvrage : il s’agit de faire par­ler celui dont on ne sait rien, sur le mode de la confi­dence, exhu­mée d’un manus­crit d’authenticité incer­taine, comme une voix per­due jetant son écho par-delà les siècles. Le peintre Jérôme Bosch, qui a exploré le monde et ses enfers, les hommes et leurs envers, livre à un car­net intime ses aspi­ra­tions, ses meur­tris­sures, ses convic­tions et ses failles. On revit ainsi à une scène trau­ma­tique, au cours de laquelle, lors de l’incendie de l’église de la ville, le tout jeune Hie­ro­ny­mus assiste mor­ti­fié à la cal­ci­na­tion du corps d’une de ses amies. Son œuvre en sera mar­quée du sceau de la brûlure.

Frédé­ric Grol­leau signe là un opus inté­res­sant, ori­gi­nal, riche. Fidèle à son éclec­tisme se plai­sant à conjoindre de nom­breux genres, l’auteur livre par bribes non seule­ment des élé­ments d’introspection psy­cho­lo­gique, mais encore des extraits de textes doc­tri­naux, des frag­ments d’esthétique, des recettes alchi­miques, des minutes de pro­cès, des ful­gu­ra­tions théo­riques dont on ne per­çoit pas l’unité. Gla­nés au fil de ses lec­tures, sans souci chro­no­lo­gique ni thé­ma­tique, ces pas­sages cités ne semblent réunis là que par leur obé­dience her­mé­tique. Sur­tout, il appa­raît cher­cher une cohé­rence et semble essayer de rompre avec ses tra­vers insup­por­tables, qui s’expriment sous la forme d’un vaga­bon­dage hété­ro­clite. Tou­te­fois, trop sou­vent encore les révé­la­tions inci­sives côtoient le ver­biage le plus insipide.

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En effet, Fré­dé­ric Grol­leau a des qua­li­tés. Beau­coup. Sans doute trop. Eru­dit, intui­tif, pas­sionné, buti­neur, ratio­ci­neur. Autant de talents qui semblent s’étaler d’abord sans ordre devant nos yeux. Pour­tant, peu à peu, si l’on fait abs­trac­tion du fatras des extraits cités, le per­son­nage prend quelque épais­seur, son ton et ses allures nous deviennent fami­lières, en dépit des incer­ti­tudes d’une langue qui veut res­sem­bler à l’ancien français…

On découvre en effet pro­gres­si­ve­ment un homme, ses forces, ses fai­blesses, ses tra­vers, ses intui­tions, l’occultisme qui le conduit à fon­der un véri­table mys­ti­cisme esthé­tique. La lec­ture des œuvres de Jérôme Bosch repose sur l’hypothèse de l’appartenance du peintre à une confré­rie secrète, gor­gée d’orgies et d’occultisme,  retrou­vant une loin­taine ins­pi­ra­tion cathare. Ces hypo­thèses, déve­lop­pées res­pec­ti­ve­ment par Jacques Chailley (Jérôme Bosch et ses sym­boles Essai de décryp­tage, Aca­dé­mie Royale de Bel­gique, 1978) et Lynda Har­ris (The secret heresy of Hie­ro­ny­mus Bosch, Flo­ris Book, 1995), pour n’être pas ori­gi­nales, n’en sont pas moins légi­times, même si elles res­tent fragiles.

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Nous n’avons pas affaire à une grande œuvre. Elle n’en a pas moins des qua­li­tés, sinon du charme. L’auteur signe là son ouvrage le moins mau­vais. Comme si, à force de nous secouer inuti­le­ment, il appre­nait à nous ber­cer. Gageons que ses pro­chains ouvrages, nour­ris non seule­ment de ses lec­tures et de ses ins­pi­ra­tions, mais sur­tout de sa verve nar­ra­trice, sau­ront trou­ver leur public.

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Un livre très bien écrit et joli­ment illus­tré d’une dou­zaine de tableaux


T
out com­mence par l’incendie de Bois-le-Duc (’s-Hertogenbosch), ville natale de Jeroen van Aeken. Ainsi, nous com­pre­nons le choix du pseu­do­nyme Bosch alias Hie­ro­ny­mus. Issu d’une famille de peintre,(son grand père et son père), son père lui ensei­gnera l’art de la pein­ture. Il se marie en 1478 avec une riche aris­to­crate Aleyt van de Meer­venne. Cette union lui per­met­tra d’intégrer en tant que membre notable la confré­rie Notre Dame.
Dans cet ouvrage, l’auteur, Fré­dé­ric Grol­leau revi­site les oeuvres de Bosch à tra­vers sa bio­gra­phie. Ecrit à la pre­mière per­sonne, Bosch se raconte à l’automne de sa vie. Il nous plonge dans son uni­vers : au fil des pages, le peintre dévoile les dif­fé­rentes tech­niques pic­tu­rales uti­li­sées jadis à par­tir de ses tableaux ou de ceux d’autres peintres notam­ment Van Eyck, Robert Cam­pin, Rogier Van der Wey­den qui l’ont beau­coup ins­piré. Il nous fait aussi par­ta­ger ses reflexions sur l’Eglise, ses médi­ta­tions sur la folie humaine.
En tant que peintre-dramaturge de la lutte sem­pi­ter­nelle entre Bien et Mal,je maquille, j’habille et mets en scène le monde entier et les hommes… 

Ses oeuvres fai­sant tou­jours réfé­rence à la reli­gion et à l’alchimie, elles tra­hissent son obses­sion du péché, de la dam­na­tion. On res­sent par ailleurs beau­coup de ten­dresse dans ce roman notam­ment quand le sul­fu­reux “peintre des enfers” fait allu­sion à sa femme Aleyt, ce qui est sou­vent le cas. Ses der­nières « pen­sées » lui sont d’ailleurs dédiées. S’autorisant quelques esca­pades hors des quelques rares don­nées offi­cielles sur le com­po­si­teur du Cha­riot de foin ou de L’excision de la pierre de folie, Fré­dé­ric Grol­leau lui prête avec humour deux fils illé­gi­times qui n’ont aucune appé­tence pour la peinture.

Ce livre très bien écrit et joli­ment illus­tré d’une dou­zaine de tableaux nous fait ainsi décou­vrir, entre roman esthé­tique et livre d’art, les oeuvres de Bosch comme Le jar­din des délices, ce célèbre tableau sur la créa­tion du monde avec Adam et Eve et le péché ori­gi­nel. On a l’impression d’être alors fort proche de cet artiste peintre. Ori­gi­nal, ce livre peut à la fois être un roman beau-livre qui évoque la vie d’un peintre, Bosch (sa femme, la confre­rie à laquelle il appar­tient, son ate­lier, la reli­gion), et un ouvrage de réfé­rence pour les ama­teurs de pein­ture (grâce aux tech­niques clai­re­ment expliques et à la pré­ci­sion dans la des­crip­tion des tableaux comme dans l’interprétation reli­gieuse de ceux-ci).

Ophé­lie Heurtebize

Plus d’informations et de com­plé­ment sur le site de l’auteur

Fré­dé­ric Grol­leau, Hie­ro­ny­mus — Moi, Jérôme Bosch ou la vie du peintre des enfers ,
La Roma­nia édi­teur, 2010
190 x 270, cou­ver­ture souple

15 repro­duc­tions en cou­leurs
224 pages - 25,00 €
ISBN 978–2-912243–02-7

 

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