Michel Couturier, L’ablatif absolu

Briseur de syntaxe 

Michel Cou­tu­rier (1932–1985) n’a publié que peu de recueils : De dis­tance en châ­teau (Siècle à Mains, 1964), L’ablatif absolu (Maeght, 1975), Constante parité (1976, Le col­let de Buffle), Lignes de par­tage (1985, id.). Marie de Qua­tre­barbes repu­blie judi­cieu­se­ment ces grands textes en ajou­tant un texte paru dans l’éphémère revue Banana Split : Ès. Jean Daive (qui fut l’éditeur chez Maeght de l’auteur) rap­pelle les liens du poète avec Claude Royet-Journoud et Anne-Marie Albiach et son rôle de tra­duc­teur : Burn Sin­ger et John Ash­bery (Frag­ment, Clep­sydre, Poèmes fran­çais,  Le Seuil,  col­lec­tion ’’Fic­tion & Cie’’).
Créa­teur d’une syn­taxe en bri­sure, Cou­tu­rier a créé une ligne séman­tique par­ti­cu­lière dans laquelle jouent autant la pho­na­tion, la visua­li­sa­tion que le sens. Ce der­nier semble demeu­rer presque vacant entre des paren­thèses vides et des signes de liai­son deve­nus ceux d’une déliai­son. Refu­sant un sens uni­voque, dès son pre­mier texte tout joue sur le son : « Tébréo Téréoté / Toré aussi To / Toro alor / d’épée chur au pays d’é » Néan­moins, le réel ne dis­pa­raît pas de même que — par­fois — une ver­si­fi­ca­tion clas­sique mais dont le pro­pos échappe à la nar­ra­tion sans cesse sor­tie de ses gonds pour aller vers d’autres « tra­vaux d’approche » où les éclairs plongent sur les vitres.

Ce que le poète nomma « le désir / de nar­ra­tion » (la rup­ture ver­si­fiée est essen­tielle) se méta­mor­phose dans un ordre par­ti­cu­lier du chant dans lequel la voix a plus d’importance que le sens. Et ce, en une poé­sie sonore bien dif­fé­rente de celle des tenants de genre ( Ber­nard Heid­sieck par exemple). Le texte de plus en plus sibyl­lin échappe à toute contex­tua­li­sa­tion là où appa­raît une forme de rup­ture avec « l’Autre ».
En ce sens, l’œuvre est celle d’une perte : le désir de « tran­si­fixer » y reste une vue de l’esprit dont le poète ne fut jamais dupe. Ce fut pour lui une manière de fran­chir la fron­tière du réel, de modi­fier les mani­fes­ta­tions visibles et de trans­for­mer jusqu’à la per­cep­tion du sens.

jean-paul gavard-perret

Michel Cou­tu­rier, L’ablatif absolu, Edi­tions La Tête et les cornes, 2016, 166 p.- 18,00 €.

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