Un récit parfaitement contrôlé !
Ce conte d’anticipation paru en 1959, mêlant avec brio polar et récit psychologique, est le dernier de la série des onze romans livrés par Wul dans sa période Anticipation-Fleuve noir. Ce livre est relativement atypique dans l’œuvre du mythique auteur car, s’il prend l’espace pour décor, l’essentiel de l’intrigue s’appuie sur des concepts mentaux et se joue dans un exercice de style multipliant les niveaux de narration. Certes, le décor prend en compte des incontournables du space opera, avec des extraterrestres bien dissemblables, voire effrayants, des vaisseaux spatiaux, des robots, mais aussi des possibilités futuristes comme les changements constants de personnalités et de physionomie. La lecture du roman qui comporte un nombre restreint de pages, comme le cahier des charges l’imposait à l’époque, offre un rythme tout en accélération jusqu’à une conclusion brutale.
C’est dans un bar, lors d’une escale à Pink-Moon une planète entièrement dédiée au plaisir sous toutes ses formes, qu’Inès Darle fait la connaissance de Michel Maistre. Celui-ci semble très bien connaitre la planète Émeraude, destination de la jeune femme. Lauréate du prestigieux prix de poésie Le Luth d’Or, elle a gagné ce voyage. Dans l’astronef, alors qu’il la raccompagne jusqu’à sa cabine, elle est effrayée à la vue d’un Cépode, un extraterrestre tentaculaire dont la race régnait sur Emeraude avant la conquête des humains. Pour la rassurer, il lui propose de s’installer dans la cabine voisine qui est libre.
Michel Maistre n’est pas le commerçant qu’il feint d’être, il est l’agent 27. Un message le prévient qu’un cépode suspect a embarqué à bord. Il reçoit la visite d’un responsable de la compagnie de transport et d’un policier. Son ancienne cabine a explosé sous l’effet d’une bombe à gaz, tuant le garçon d’étage. Pour ne pas faire de torts à la compagnie, cela doit rester secret. Il est donc décidé, pour tromper les auteurs de l’attentat, d’hospitaliser Michel dans un état grave.
Johan, son collège, surgit dans la chambre. Un message a été capté par le Central, message annonçant son arrivée sur Émeraude et qui a déclenché le départ de trois Cepodes vers Pink-Moon. Il doit enquêter sur la disparition de soixante-dix personnes en marge des autorités officielles. Cette affaire prend un tour encore plus dramatique quand Inès est enlevée. Michel a le sentiment que l’ennemi connaît tous ses faits et gestes. Capturé et victime d’expérimentations cruelles, le pire est encore à venir…
Les ayants droit de Stefan Wul permettent une adaptation libre des œuvres et Dobbs ne s’est pas privé de cette liberté qui lui a donné la possibilité d’aller encore plus loin que Wul dans la thématique du voyage intérieur. Il joue, avec Maistre, sur une situation complexe qui repose sur nombre d’éléments psychologiques, sur la manipulation mentale, pour proposer une double lecture, aller vers un happy end plus cynique que l’original. Il explicite, d’ailleurs, sa démarche dans une postface passionnante.
Le travail de Stéphane Perger (dessin et couleurs) est bluffant. Il propose des compositions de planches psychédéliques et réussit à transmettre toutes les étapes cérébrales du héros, les différentes phases plus ou moins mouvementées de ce voyage, de cette Odyssée sous contrôle. Il a choisi d’utiliser : “des couleurs qui naviguent entre différentes nuances de magenta, d’indigo, de parme et de violet”, pour “faire référence à la gestation, à la peau, au cocon, à l’organique.” Il en résulte une mise en images inhabituelle avec une cohérence remarquable entre un dessin au trait fin et des couleurs qui donnent de l’ampleur, du volume, de la vie.
Un bien bel album, sans doute un des meilleurs de la série.
serge perraud
Dobbs (scénario d’après le roman de Stefan Wul) & Stéphane Perger (dessin et couleurs), Odyssée sous contrôle, Ankama, coll. “Les Univers de stefan Wul”, septembre 2016, 64 p. – 14,90 €.