Jacques Roubaud, Poétique Remarques. Poésie, mémoire, nombre, temps, rythme, contrainte, forme, etc.

Les mal­en­ten­dus ou autres courants

Il y a une béa­ti­tude immense à n’être rien. Ou à être tout, comme le fait Rou­baud. Mais ce n’est pas si simple. Sauf pour celui qui, fort en cer­ti­tudes, ne craint pas la dépres­sion. Si tout ne peut com­men­cer qu’à l’approche du néant, l’auteur s’en fait un must. Et si cha­cun sait qu’en sup­pri­mant la néga­tion, on inva­lide le lan­gage, l’auteur abo­lit tout ce qui ne cor­res­pond pas à ses dik­tats for­gés en remarques.
Rou­baud fait donc le ménage : « Ce volume ras­semble un demi-siècle de réflexions dans une forme par­ti­cu­lière de prose que j’appelle remarques. » écrit l’auteur dans son intro­duc­tion. Ces remarques sont donc un mal (néces­saire ?). Elles per­mettent de tailler dans le vif, non sans injus­tice et rapi­dité d’analyse. Cela plaira sans doute. Joyce est exé­cuté en une phrase : « Fin­ne­gans Wake est une escro­que­rie théo­rique : les langues ne sont sai­sies que par leur lexique. La syn­taxe est d’une bana­lité anglaise écœu­rante ». C’est un peu rapide. Quant aux jeux d’esprit, ils n’ont d’intérêt que le ron­flant huma­niste : « L’emploi du Zyk­lon B est inter­dit aux USA pour les exé­cu­tions capi­tales. Il serait inhumain. »

Mais Rou­baud revient sur­tout sur ses dadas qui sont la loi des nombres. Par leur flux “ver­bal » et dans une belle vue de l’esprit, il fait de la poé­sie une méca­nique spi­ri­tuelle. D’où l’idée chère à l’auteur du lan­gage comme cal­cul : « On peut explo­rer l’idée d’une vérité poé­tique comme cal­cul. » Voire. Même si l’auteur cal­cule son effet : « La poé­sie est dans sa langue comme le pois­son quan­tique. » Ce qui – avouons le — ne veut rien dire.
L’auteur croit néan­moins inven­ter un nou­veau cou­rant : il s’accroche aux anciens comme un chien à une laisse. La poé­tique pour gogos gri­més en der­viches tour­neurs n’est qu’une pré­caire assu­rance sur la sur­vie de la poé­sie, du moins celle que sème et « séman­tise » ce pro­tégé d’Artémis ou de quelque autre déesse de la gloire.

Le poé­tique prend la forme d’une table de mul­ti­pli­ca­tion céleste. Le lan­gage n’y est qu’une numé­ro­lo­gie approxi­ma­tive. Seul un cer­tain nanisme de l’espace céré­bral est en vue en 4755 items (régu­lés en 15 sec­tions) jusqu’à « La der­nière remarque (qui) ne remarque rien que le fait qu’elle est la der­nière remarque »… Avant ce t(h)erme, les for­mules brillantes don­ne­ront l’impression au lec­teur d’être intel­li­gent. Il pourra briller lors des soi­rées en Avi­gnon en citant des for­mules bien du type « La poé­sie est l’énigme de la langue et sa chute donne nais­sance aux mys­tères de la pen­sée » ou encore « Les arts de la mémoire créaient un solide, une archi­tec­ture dans le champ mné­mo­nique. C’est un des liens du nombre pytha­go­rique à la mémoire. » . Qu’ajouter ? Sinon « Glups ».
Tout reste de l’ordre de la fatra­sie pas­sée au cirage comme l’étaient cer­tains attri­buts virils dans cer­taines gar­ni­sons afin que les « bleus-bites » ne le soient plus. Le ver­biage ne cesse de reluire d’évidences : « Ren­ver­sant cul-par-dessus-tête une pro­po­si­tion de Lau­tréa­mont (Poé­sies II), le comte : « La poé­sie doit être faite par cha­cun, non par tous. » ou encore « Le saint res­semble aux chats, qui sont de grands spé­cia­listes du pen­ser à rien. »,  ce qui est méchant pour les chats.

Il faut consi­dé­rer, rap­pelle leur fomen­teur, ces amal­games « aurales » (dixit lui-même) comme un « jour­nal intime ». Il est plus jour­nal qu’intime. Et du type « Voici ». Mais où les cuisses sont rem­pla­cées par l’orgueilleux apho­risme. On est en droit de pré­fé­rer les premières.

jean-paul gavard-perret

Jacques Rou­baud, Poé­tique Remarques. Poé­sie, mémoire, nombre, temps, rythme, contrainte, forme, etc., Le Seuil , « La Librai­rie du XXIe siècle », 2016, 448 p. — 25,00 €.

1 Comment

Filed under On jette !, Poésie

One Response to Jacques Roubaud, Poétique Remarques. Poésie, mémoire, nombre, temps, rythme, contrainte, forme, etc.

  1. Villeneuve

    Hors nombre d’or ou d’art le sieur Rou­baud part en vrilles de copeaux héli­coï­daux . Hum …ou ” Glups ” …

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