L’œuvre de Sally Bonn repose sur la création d’une écriture poétique mais aussi réflexive dans le champ de l’art et de ses dispositifs. Son imaginaire fonctionne dans la triangulation espace/ installation / image. Universitaire et fondatrice de l’association Le Bureau des activités littéraires et de la revue d’expérimentation Numéro Zéro, proche de certaines recherches radicales britanniques et hollandaises, l’auteure, après son essai sur les dispositifs et la perception esthétique, prolonge sa réflexion en acte avec L ‘Imagination de la matière. Son beau et pertinent texte ponctue et accompagne le projet Trans Formation dirigé par Pierre-Yves Freund.
Dans un espace particulier, le créateur a invité neuf artistes afin que « les extrêmes se rencontrent » et se racontent. Et l’auteure souligne comment une « circulation invisible a lieu » par sauts et gambades, non par jeu mais afin que surgissent les « miasmes » d’un fleuve-image au sein de passages en divers matières, corps, surfaces. Le « geste » de chaque artiste reste perceptible afin que se comprenne sa démarche tout en laissant ouverte l’interprétation de chaque visiteur.
Les projets n’ont pas été formulés par avance mais se sont mis « en repons » selon divers protocoles et médiums. Anne Durand-Gasselin est partie par exemple de sporulations créatrices de nébuleuses sur le papier intact ou brûlé. A l’inverse, Blanca Casas Brullet a rassemblé divers objets selon tout un système de jeu entre eux et le support.
Pierre-Yves Freund a mis en scène neuf espace de plasticités qui se modulent, se délitent, s’érigent et surtout se répondent au sein de diverses tensions propres à créer des présences poétiques. De grandes tailles ou de volumes plus petits, les œuvres transcendent le réel selon divers types d’érosion ou d’érection. Emane tout un jeu alchimique d’oppositions entre le vide et le plein.
L’équilibre à tout moment semble pouvoir s’estomper comme si les gestes de l’artiste étaient soumis la recherche de l’instabilité. D’où l’impression d’un « non fini » méticuleusement concerté par Freund et que Sally Bonn souligne. Elle rappelle comment se donne à l’éternité ce qui paraît de simples moments. Le présent devient un présent éternel. Le sublime côtoie le fragile dans le basculement sans cesse repris.
jean-paul gavard-perret
Pierre-Yves Freund & Sally Bonn, Trans Formation – L’imagination de la matière, Coéditions Esox Lucius et Territoires, 2016.