Hervé Jubert, La nuit des Égrégores

Un récit éton­nant par sa richesse

Hervé Jubert puise tous azi­muts dans l’histoire, les fic­tions, les légendes, les mytho­lo­gies pour ani­mer un récit haut en cou­leurs, riche en ten­sion, mêlant aven­tures, com­plots, jeux poli­tiques et magie. Il prend pour cadre un décor steam­punk du plus bel effet. Il com­pose, ainsi, une intrigue pas­sion­nante employant avec brio une gale­rie de per­son­nages où se croisent, pour le meilleur et pour le pire, des indi­vi­dus authen­tiques dont il modi­fie, ou non, le patro­nyme et les confronte à des inter­lo­cu­teurs issus de tous les domaines de l’imaginaire.
Parmi les prin­ci­paux inter­ve­nants du pré­sent récit, Gus­tave Doré, émi­nent illus­tra­teur, joue son rôle bien qu’il se fasse recru­ter par le SMS (Secret Magic Ser­vice) par le pré­sident des États-Unis. Il côtoie Henry Jekyll qui a été le second de John Dee, pré­sente ici comme le chi­ro­man­cien de Vic­to­ria, et qui «…peut se trans­for­mer en brute homi­cide en cer­taines cir­cons­tances. » Au fil de l’intrigue, le lec­teur va croi­ser Lilith (Loin d’être la pre­mière Ève, quoique !) Eugène Robert Hou­din l’illusionniste, Maître Albert l’alchimiste, Robes­pierre, Napo­léon, Isis, Osi­ris, le roi des gueux…

La situa­tion du peuple des Feys est cri­tique dans Sequana où l’impératrice Tita­nia, l’épouse d’Oberon III, a décidé de les éra­di­quer de la ville. Georges Her­cule Béli­saire Beau­re­gard, un enfant trouvé por­teur d’un œil de verre, est devenu ingénieur-mage. Il tra­vaille pour le minis­tère des Affaires étranges sous l’autorité de Val­lom­breuse et recueille, dans son hôtel, des membres de Féé­rie.
La situa­tion inter­na­tio­nale est explo­sive. Celle-ci pèse sur l’inauguration du Canal des Pha­raons, cette voie d’eau reliant l’Occident et l’Orient. Les tra­vaux se sont accé­lé­rés sou­dai­ne­ment et une inau­gu­ra­tion par Obe­ron III, regrou­pant tout le gra­tin poli­tique, est pré­vue très pro­chai­ne­ment. Mais l’ouvrage est menacé par l’avancée d’une énorme dune de sable, une avan­cée qui défie les lois de la phy­sique clas­sique. Georges a rejoint à Byzance, son ministre, pour trou­ver une solu­tion et empê­cher la catas­trophe.
Henry Jekyll a retrouvé Gus­tave Doré à Gotham pour ten­ter de res­sus­ci­ter l’amour de sa vie, Jeanne l’assistante de Beau­re­gard.
Isis, l’ex-déesse, a quitté le Mont-Rouge et l’hôtel Beau­re­gard pour ten­ter de sau­ver les Feys. Mais l’aiguille qui lui per­met de voya­ger à tra­vers le monde a été pié­gée par l’impératrice. Elle se retrouve à l’époque de la Ter­reur.
À Byzance, Beau­re­gard dis­pa­raît, Val­lom­breuse est assas­siné par l’Estrange et, à Sequana, le peuple des Feys est tra­qué pour être exter­miné dans une ville tota­le­ment cou­pée du reste du monde.

Le roman­cier amal­game des évé­ne­ments his­to­riques telle la rafle du Vél d’Hiv, de triste sou­ve­nir, pour l’appliquer au peuple féé­rique. Il uti­lise des noms anciens de pays, de peuples pour com­po­ser son uni­vers ima­gi­naire Mais la gra­vité des péri­pé­ties n’obère pas un goût très pro­noncé pour l’humour, un humour s’appuyant sur des situa­tions incon­grues, des déca­lages sub­tils, des ana­chro­nismes bien ame­nés. Il exploite, avec un sens peu com­mun du récit, les pos­si­bi­li­tés offertes par la fic­tion et offre un récit à la fois débridé et rigou­reux dans sa construc­tion. Ainsi, Jeanne, cette jeune femme deve­nue l’assistante du héros, est issue de l’imagination de Dickens. Mais sa pré­sen­ta­tion, son his­toire ne le mettent pas en porte-à-faux avec les zéla­teurs du célèbre auteur.
Le terme d’égrégore est apparu dans la tra­di­tion her­mé­tiste. Il est intro­duit par Vic­tor Hugo dans Le jour des rois pour rimer avec man­dra­gore. Ce terme, aux mul­tiples défi­ni­tions, désigne un agré­gat de forces, presque une entité. Avec La nuit des Égré­gores, Hervé Jubert signe un roman pas­sion­nant qui clôt une tri­lo­gie remar­quable. Les deux pre­miers tomes, parus dans la défunte col­lec­tion Pan­dore du Pré aux clercs, sont réédi­tés en Folio SF sous les numé­ros 543 et 544. Ne vous pri­vez pas d’un fabu­leux moment de lecture.

serge per­raud

Hervé Jubert, La Nuit des Égré­gores (Troi­sième enquête de Georges Her­cule Béli­saire Beau­re­gard), Folio SF n° 545, mars 2016, 304 p. – 7,70 €.

Leave a Comment

Filed under Science-fiction/ Fantastique etc.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>