Denis Demonpion, Houellebecq non autorisé — Enquête sur un phénomène

Grande pho­to­gra­phie de la vie de l’auteur

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Houel­le­becq, pour ceux aussi qui tra­versent ses livres, res­sas­sant mol­le­ment les pré-requis lus à l’école pri­maire comme Les Trois petits cochons ou La Belle aubois dor­mant, il y a le livre de Denis Demon­pion, jour­na­liste au Point.
Le titre pré­cise que la bio­gra­phie est “non auto­ri­sée”, c’est-à-dire que le style hagio­gra­phique n’est pas de mise. En effet. Il s’agit moins pour l’auteur de décrire un phé­no­mène que de don­ner son avis sur la tra­jec­toire de Michel Houel­le­becq, dont le nom véri­table est Michel Thomas.

Chacun trou­vera dans cette bio­gra­phie ce qu’il y cher­chera, c’est-à-dire que mal­gré le tra­vail jour­na­lis­tique il y a une part tou­jours réser­vée aux sup­po­si­tions et aux zones d’ombre. Le plus jus­te­ment pos­sible, Denis Demon­pion retrace la vie de Houel­le­becq en mêlant convic­tions per­son­nelles et dis­tance jour­na­lis­tique. Il insiste à juste titre sur les points impor­tants de l’œuvre de cet auteur, à savoir la poé­sie et Love­craft. Ces deux lignes de force sont en fait les trames qui guident le per­son­nage, l’une sur le plan lit­té­raire, l’autre sur le plan per­son­nel. Il suf­fit de toute façon d’avoir lu sa bio­gra­phie de Love­craft pour le com­prendre :Houel­le­becq se veut hors du monde, légè­re­ment au-dessus, disons. Hors du monde pen­dant ses études, avec ses amis de lycée ou à l’école d’agronomie, hors du monde encore tan­dis qu’il évo­lue dans le milieu lit­té­raire, hors du monde aussi en ce qui concerne ses rap­ports avec sa famille… plus géné­ra­le­ment, il se veut hors du genre humain.
Cette extrac­tion de soi du groupe social fait corps avec ses livres qui frappent par leur cynisme, leur humour à froid, leur dis­tance infi­nie et ce déses­poir devant la com­pé­ti­tion de tous les ins­tants (notam­ment sur le plan sexuel). Denis Demon­pion est allé inter­ro­ger tous ceux qui ont connu Michel Tho­mas. On apprend qu’avant d’être écri­vain, évi­dem­ment comme beau­coup, il a connu la galère et des bou­lots très éloi­gnés de ses ambi­tions lit­té­raires. Il s’est aussi marié et a tenté de consti­tuer un foyer : échec dans les deux cas. Demon­pion n’est pas allé fouiller dans son passé psy­chia­trique, au sujet de ses dépres­sions, et ce n’est pas plus mal. On com­prend mieux au fil de la lec­ture le sous-titre “enquête sur un phé­no­mène” : Demon­pion s’intéresse au lit­té­ra­teur, au phé­no­mène édi­to­rial, à cet écri­vain qui par sa plume créé une offre qui répond à une demande.

Le par­cours de Houel­le­becq dans le monde des lettres est assez clas­sique : fré­quen­ta­tions de cercles poé­tiques, une publi­ca­tion dans une revue, une publi­ca­tion dans une mai­son d’édition, puis le suc­cès (Exten­sion du domaine de la lutte puis Les par­ti­cules élé­men­taires). C’est une ascen­sion contrô­lée par un être humain dépres­sif qui se sert des autres pour mon­ter, rom­pant des liens d’amitié comme on ferme une porte, par exemple. Une ascen­sion sans ses parents avec qui il a coupé le contact très bru­ta­le­ment, sur­tout avec sa mère.
Demon­pion nous décrit un homme d’une extrême bru­ta­lité dans ses rap­ports sociaux lorsqu’il s’agit d’attaquer, de choi­sir les mots qui blessent, voire de tour­ner en ridi­cule - sans chan­ger les noms - d’anciens col­lègues de tra­vail, ce qui a poussé à la dépres­sion telle dame qui s’est recon­nue dans Exten­sion du domaine de la lutte.

Le per­son­nage, non, n’est pas sym­pa­thique ; au demeu­rant tout le monde l’a remar­qué. En fait, il n’est sym­pa­thique qu’avec ceux qui sont sus­cep­tibles de favo­ri­ser son futur d’écrivain, comme Fré­dé­ric Beig­bei­der par exemple, qui, semble-t-il, a eu une influence consi­dé­rable sur lui. Le per­son­nage est trou­blant, mais Raphaël Sorin, son édi­teur, est lui aussi trou­blant.
La revue Per­pen­di­cu­laires, morte en 2000 mais res­sus­ci­tée depuis, foyer nour­ri­cier de notre auteur, s’en sou­vient. Demon­pion éclaire les rela­tions de l’éditeur avec son auteur : Sorin-Houellebecq, un couple qui cette année encore aura su faire par­ler de lui.

Cette enquête s’attarde, avec jus­tesse encore, sur les débuts d’écrivain et convoque l’ensemble des voix de ses anciens cama­rades de classe, anciens col­lègues à l’Éducation natio­nale… et beau­coup d’autres encore parmi ceux qui l’ont fré­quenté — on retrou­vera bien sûr les atten­dus du milieu lit­té­raire bien sûr. On remar­quera tout par­ti­cu­liè­re­ment le témoi­gnage des parents de Michel Houel­le­becq, qui jusque-là ne s’étaient jamais livrés à aucun jour­na­liste. C’est une grande pho­to­gra­phie de la vie de l’auteur, de son envi­ron­ne­ment social et lit­té­raire.
Bref, si vous avez envie de mieux connaître cet écri­vain, si vous culti­vez ce besoin de savoir un peu ce qui se passe dans les cui­sines des gens célèbres, lisez ce livre ; il est écrit sim­ple­ment, évite les juge­ments de valeur et, de ce fait, repré­sente un réel intérêt.

NB - Denis Demon­pion sera pré­sent à la pro­chaine soi­rée des Obsé­dés Tex­tuels le 16 novembre 2005, qui se tien­dra au bar de l’hôtel Lenox Mont­par­nasse et aura pour thème : “Les écri­vains controversés”. 

m. clé­ment

Denis Demon­pion, Houel­le­becq non auto­risé — Enquête sur un phé­no­mène, Maren Sell coll. “essais”, août 2005, 376 p. — 20,00 €.

 

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