Apollinaire le « Monégasque » : des débuts prometteurs
Un album de jeunesse appartient à l’époque ou Wilhem de Kostrwitzky ne s’appelle pas encore Guillaume Apollinaire. Son édition est une formidable réussite d’imprimerie. S’y découvrent jusqu’au verso des pages les traces d’encre du recto suivant, voire les vieillissements du papier. Le livre devient un objet votif même si Apollinaire n’est encore qu’un enfant. Inspiré sans doute mais encore sans ambition littéraire ou plastique. Il est à l’époque au collège Saint Charles de Monaco où sa mère Angelika aurait fait scandale par ses amours avec le frère de l’archevêque de la Principauté (considéré probablement comme le père putatif d’Apollinaire). Mais passons.
Le futur poète n’a que treize lorsqu’il couvre ce carnet où il écrit, dessine et se cherche plus ou moins confusément et peut-être pour passer le temps. L’œuvre (découverte grâce à Pierre Bergé et la vente de sa bibliothèque) est hybride. S’y mélange une suite de poèmes et dessins où leur auteur apparaît comme un collégien doué, rêveur et sans objectif littéraire ou plastique. Et c’est bien là l’essentiel : en création il n’est pas toujours donné à une forme de liberté de naître. Celles et ceux qui se veulent porteurs de souffles prometteurs s’égarent en croyant inventer des Edens qui n’appartiennent qu’à la confusion. A l’inverse, Apollinaire ne cultive aucune ambition de ce type. Il s’abandonne à sa liberté avec application et légèreté. Toute une vie jaillit en divers registres par des dessins ou des vers aux rondeurs parfois surprenantes.
Préside une idée différente au départ de chaque encre ou dessin. Tout se crée en avançant sans d’autre souci que le « faire ». S’y découvrent, côté dessins et aquarelles, une vieille femme en train de tricoter, des vues familières de la Côte d’Azur et de l’arrière-pays qui séduisirent le jeune exilé polonais. Coté texte, Noël est déjà proche de la modernité de l’époque. D’autres (Minuit) proposent un jeu de « repons » entre les mots et les images. L’auteur sait aussi jouer des formes revisitées comme celle du rondeau..
Dans ce carnet de bord, une sensibilité est déjà présente. Le regard sur les êtres est aigu. Mais pour l’heure, le jeune Wilhelm s’amuse à jouer avec les genres poétiques comme avec les styles au sein d’une approche figurative. Il cultive un certain onirisme selon des angles souvent inattendus au sein de sa dérive dictée peut-être par l’ennui. Néanmoins, le lecteur-regardeur « sent » que l’auteur est déjà en germe. La métrique des vers, les traits des encres sont parfois raffinés et subtils ( cf. la Vierge et l’Enfant Jésus, le bois de la croix avec le crâne d’Adam). Parfois, ils sont plus perfides qu’imprévus : un prêtre solitaire, tel un amoureux transi, grave le nom de Jésus sur l’écorce d’un arbre…
Par certains aspects, textes et images sont des ovnis comme l’est ce livre commenté par Pierre Caizergues grand spécialiste d’Apollinaire. L’ Album permet — pour reprendre un vers de poète — à la « jeunesse abandonnée » de revenir en guirlande, sans qu’elle ne soit en rien grevée par « des regrets et de la raison ».
jean-paul gavard-perret
Guillaume Apollinaire, Un album de jeunesse, Gallimard, Paris, 2015, 17,50 €.