Entretien avec David Foenkinos (Le potentiel érotique de ma femme)

David Foen­ki­nos har­celé par Fré­dé­ric Grol­leau : c’est drôle, c’est carré. C’est Foen­ki­nos et c’est dans Le Littéraire…

Harcelé dans son home sweet home en fin de semaine, David Foen­ki­nos, auteur de Le Poten­tiel éro­tique de ma femme (Gal­li­mard, 2004) répond obli­geam­ment aux ques­tions emba­ras­santes de Fré­dé­ric Grol­leau, qu’il n’hésite pas à ren­voyer dans ses buts. C’est drôle, c’est carré. C’est Foen­ki­nos et c’est dans Le Lit­té­raire.

La légende raconte que le plus dur, après avoir écrit un pre­mier roman, c’est d’en livrer un deuxième. Mais ne serait-ce pas plu­tôt de pas­ser au troi­sième ?

David Foen­ki­nos :
Pour moi, oui, ce fut la cas. Le troi­sième a été ter­ri­ble­ment plus com­pli­qué. Mais c’était sur­tout lié à la connais­sance de la publi­ca­tion. Plus d’un an a passé entre la fin de l’écriture de mon pre­mier roman et sa publi­ca­tion ; pen­dant ce temps, j’ai pu écrire tran­quille­ment mon second roman. Per­sonne ne m’avait lu, ni ma famille ni mes amis. D’un coup tous les com­men­taires m’ont per­turbé : ” pas assez adap­table pour le cinéma !”, ” trop fou “, ” pas assez pour les femmes, ce sont les femmes qui achètent les livres ! “, ” manque de réflexion sur la poli­tique ” ” trop de points vir­gules “, ” il n’y a pas de sujet de société, c’est com­pli­qué pour la promo ” ” trop sur­réel ” ” pas assez sur­réel ” ” pas de scènes de cul “… etc.
Si bien que pour mon troi­sième, j’avais tous ces com­men­taires en tête, et je ne savais plus com­ment et que faire ! Il m’a fallu du temps pour éva­cuer, et essayer de retrou­ver mon propre avis sur ce que j’avais à faire. Voilà, c’est ça le plus dur pour moi : faire abstraction.

Dans Le poten­tiel éro­tique de ma femme vous vous amu­sez avec les méfaits sup­po­sés de la col­lec­tion à tout crin : pour­quoi le choix de ce thème ? Auriez-vous, enfant, souf­fert vous même des sévices de la phi­la­té­lie ou autre objet com­pul­sion­nel ?
C’est sou­vent dif­fi­cile pour moi de savoir pour­quoi on choi­sit un sujet. Dans mon second roman, Entre les oreilles, il y avait une grande place pour le tri­cot. Le livre était construit en mailles, avec des mou­ve­ments répé­ti­tifs. Dans cer­tains endroits comme la banque où tra­vaillait le héros, tout le monde s’appelait pareil. C’est sûre­ment cette ambiance qui m’a poussé vers les col­lec­tion­neurs. J’adore les obses­sion­nels, c’est une démarche névro­tique. Et fina­le­ment, moi je n’ai pas souf­fert de ces sévices, mais le rap­port à l’écriture est assez simi­laire. Pas­ser son temps à s’ennuyer à écrire, c’est for­cé­ment obses­sion­nel. Pra­ti­que­ment tous les jours, je me mau­dis d’écrire ! C’est une col­lec­tion comme une autre, l’obligation phy­sique et pul­sion­nelle décrire des histoires.

Iriez-vous jus­quà dire de votre héros, Hec­tor, qu’il incarne (tout haut) les tra­vers (tout bas) de bon nombre de nos contem­po­rains ?
Je suis l’archétype de l’auteur qui n’a aucune idée des tra­vers de nos contem­po­rains. Je suis une petite frappe, moi. Même si c’est moins fla­grant pour ce livre, mes per­son­nages ont assez peu d’emprise sur le réel ; ils sont géné­ra­le­ment libé­rés de toute angoisse maté­rielle. Mais c’est vrai que les deux phases de ce héros peuvent évo­quer cer­tains tra­vers. Le besoin d’accumuler, de se ras­su­rer ; et le besoin de jouir, de trou­ver sa nour­ri­ture fan­tas­ma­tique. Une idée de notre moder­nité nous pousse à ce fort para­doxe : être stable dans sa réus­site, et être instable dans la jouis­sance. Vous voyez bien que je suis très mau­vais en théo­rie sur notre société. A part une seule que j’expose dans le livre : notre société coupe le poil, nous sommes l’époque la moins mous­tache qui soit.

Vous dis­tin­guez à un moment le phan­tasme de la pul­sion : mais la folie propre au col­lec­tion­neur, cette volonté d’accumuler des exem­plaires pour recons­truire une linéa­rité tem­po­relle bri­sée, n’est-elle pas jus­te­ment le mélange des deux ?
Je dis­tingue les deux. La pul­sion est patho­lo­gique ; on ne peut pas vivre sans. Alors que le fan­tasme est un rêve qu’on peut ne pas assou­vir. Mais la confu­sion, c’est vrai, est réelle quand la col­lec­tion est sen­suelle, en l’occurrence le lavage de vitres par Brigitte.

Hec­tor croit se sau­ver et se sevrer de la col­lec­tion­nite débri­dée en épou­sant Bri­gitte et en “réa­li­sant” (enfin) sa sexua­lité : or il appa­raît que Bri­gitte devient l’occasion d’une soif de col­lec­tion plus grande et infi­nie encore. Est-ce à dire qu’on est tou­jours, à notre insu, le col­lec­tion­neur d’un autre, ou d’une série objec­tale qu’on ignore ?
C’est d’abord un hymne à la femme, certes un peu étrange. Bri­gitte est unique, et sa pas­sion pour un “objet unique”, pour la pre­mière fois, per­met à Hec­tor de ne plus être dans une spi­rale de col­lec­tion­neur. Main­te­nant, l’idée qu’on est tou­jours le col­lec­tion­neur d’un autre est une hypo­thèse vrai­ment réjouis­sante. Et je vais l’intégrer dans mon livre, sans citer votre nom bien sûr, dans une pro­chaine réédi­tion. Merci.

L’un des personnages-clefs de votre roman est Gérard, le frère de Bri­gitte, qui se vante d’avoir gagné une course à vélo Ouarzazate-Casablanca (ce qui serait son seul fait “héroïque” dans la vie). Je n’ai pas man­qué d’observer que vous aviez vous-même écrit votre roman entre ces deux villes entre novembre 02 et août 03 : doit-on en déduire que le lieu où vous vous trou­viez vous a influencé dans votre écri­ture, ou est-ce l’inverse ? Corol­laire indis­cret : que faisiez-vous donc là-bas au lieu de han­ter Paris ? (joker auto­risé)
C’était une stu­pi­dité comme une autre ; je n’ai jamais mis les pieds dans ces deux villes. J’ai inventé cette course car elle son­nait bien, et je me suis rendu compte après à quel point elle serait com­pli­quée. J’espère que ça vous ras­sure, je hante Paris, et je suis le fan­tôme de la BNF puisque j’habite en face.

En clin d’œil à Hec­tor, “le don Juan de la chose”, pensez-vous qu’il y a der­rière tout col­lec­tion­neur un frus­tré qui s’ignore ?
Un frus­tré for­cé­ment. Un frus­tré sexuel pas for­cé­ment. Je com­pare les deux car, dans le livre, son rap­port aux col­lec­tions est le même qu’un séduc­teur mala­dif face aux femmes. J’exagère ce rap­port pour qu’il soit comique. Hec­tor est sou­vent par­tagé entre deux col­lec­tions. Et puis il y a des col­lec­tions sen­suelles et douces comme les pre­mières pages d’un livre ; et des col­lec­tions plus bru­tales comme les piques apé­ri­tif. Des col­lec­tions qui ne durent que deux trois soirs. Et c’est vrai, on ne fait pas sa vie avec des piques apéritif.

Votre roman peut se lire comme une volonté, drôle mais ferme, de décons­truire des images toutes faites, de dés­in­car­cé­rer des indi­vi­dus des geôles du confor­misme où ils sont enfer­més. Bref, comme une manière de démon­ter les cli­chés par les­quels nous nous aveu­glons tous les uns les autres dans nos rap­ports avec nos sem­blables. Le poten­tiel éro­tique de ma femme, dans cette optique, devient très sérieux, et peut être pris au pied de la lettre. Etes-vous d’accord avec cette ana­lyse ? Assumez-vous ce rôle ?
Je ne com­prends pas tout, et je n’assume aucun rôle. C’est vrai qu’il y a une part sérieuse dans ce livre, une réflexion sur­tout sur la dic­ta­ture de la sen­sua­lité. Pour reve­nir aux cli­chés, c’est quelque chose que j’adore. D’une manière para­doxale, même si mes per­son­nages sont déca­lés, j’adore qu’ils soient cli­chés. Donc je ne démonte pas les cli­chés, mais je m’amuse avec. Leur exis­tence est néces­saire, c’est la fron­tière du ridi­cule néces­saire au comique.

Vous écri­vez que la col­lec­tion n’a rien à voir avec la séduc­tion. Il me semble que Jean Bau­drillard a expli­qué expres­sé­ment l’inverse dans De la séduc­tion : maintenez-vous votre point de vue ?
Cette inter­view devient trop intel­lec­tuelle pour moi ! A vrai dire, toutes nos entre­prises quelles qu’elles soient reposent, et c’est un sujet du livre, sur la consi­dé­ra­tion des autres. Nous agis­sons tous pour les autres. Sur­tout les créa­teurs. Et très sou­vent, cela repose sur la séduc­tion. On veut plaire. Que cela soit conscient ou non. Pour les col­lec­tion­neurs, ce n’est pas le cas. A part peut-être entre eux, dans la riva­lité. Mais si c’est patho­lo­gique, alors le regard des autres n’existe pas. Au contraire, la sym­bo­lique du col­lec­tion­neur est sou­vent d’accumuler des objets pour se dis­si­mu­ler der­rière ; pour dis­pa­raître. La fin du livre est en ce sens une véri­table libération.

Com­men­tez pour finir cette for­mule de Gide : ” ce que tu pos­sèdes, te pos­sède “…
Moi,vous savez, à part mon CCP à la Poste…

   
 

Pro­pos recueillis par Fré­dé­ric Grol­leau le 1er mars 2004

David Foen­ki­nos, Le poten­tiel éro­tique de ma femme, Gal­li­mard, 2004

 
     
 

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