Thomas Huber, L’enseigne

L’art entre des­tin et destinée

Dans l’œuvre de créa­tion pro­pre­ment dite, l’art devient celui du souffle enca­dré, du souffle qui tremble à la limite du réel et de l’irréalité. Appa­raît la région des trem­ble­ments fur­tifs où tout se découpe avec pré­ci­sion en un double registre pour qu’à la fois résonnent la voix du passé et les appels d’avenir. Au-delà des géo­mé­tries de la pein­ture, la lumière met un sceau aérien dans chaque toile. S’y entendent subrep­ti­ce­ment des réso­nances venues de par­tout ou de nulle part. Huber montre avec superbe l’extrême ténuité de l’être par des images sin­gu­lières unies et sépa­rées qui viennent se ren­con­trer en une défla­gra­tion silen­cieuse.
Il en va de même dans les textes (très nom­breux) qui doublent l’œuvre de créa­tion. L’enseigne se pré­sente à la fois comme un pro­ces­sus de créa­tion et une réflexion sur le carac­tère démons­tra­tif du pan­neau indi­ca­tif, Il a été écrit à pro­pos de la réa­li­sa­tion d’une œuvre in situ de l’artiste pour la gale­rie Sko­pia de Genève. Wat­teau et son tableau de 1720 “L’Enseigne de Ger­saint” y appa­raissent en fili­grane au sein des réflexions de l’artiste (et celles Wolf­gang Ulrich en pré­face). Des vitrines de la gale­rie gene­voise à la devan­ture de la bou­tique pari­sienne « Au Grand Monarque », L’Enseigne de Tho­mas Huber retrace l’aventure des deux tableaux : le sien et celui de Watteau.

Le texte rap­pelle le des­tin du second et la “des­ti­née” du pre­mier. Cela per­met de ques­tion­ner le mar­ché de l’art, la cir­cu­la­tion des tableaux, les rap­ports entre l’artiste, le mar­chand, le col­lec­tion­neur. L’écriture offre ici une inter-picturalité par son inter-textualité. Le monde de la pein­ture y semble à la fois gran­diose et petit par effet de contact dif­féré entre les deux oeuvres. Huber y impose sa rigueur, son ascèse. Il offre au regard comme à la réflexion un écart, une dérive habile au sein de cette cir­cu­la­tion des œuvres. Il faut la suivre pour com­prendre un peu mieux le monde de l’art, ses méandres, ses évo­lu­tions mais aussi ses invo­lu­tions.
Il ne faut pas, rap­pelle de facto l’auteur, cher­cher dans chaque toile la plus belle fille du monde. Mais Huber montre com­ment une image, étant “enseigne”, ouvre. Tout se joue sur la ten­ta­tive de par­ve­nir à atteindre le cœur, la rai­son, l’inconscient en le pre­nant par revers. Mieux que tout autre médium, l’image mani­feste donc un état de sur­vi­vance appar­te­nant au genre des spectres qui sans relâche mettent le regard en mouvement.

jean-paul gavard-perret

Tho­mas Huber, L’enseigne, Textes de Tho­mas Huber et Wolf­gang Ull­rich, Sko­pia Art contem­po­rain, Genève, 2015, 84 p. — 10,00 €

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