Mario Delgado-Aparaín et Luis Sepúlveda, Les Pires Contes des frères Grim

De l’ubuesque à gogo pour ce texte jouis­sif de deux auteurs de noir

Au début du XIXe siècle, il y eut Jacob et Wil­helm Grimm. Qui n’a pas entendu par­ler de Cen­drillon, de La Belle au bois dor­mant, de Blanche-Neige ? Autant de contes revi­si­tés au XXe siècle par Walt Dis­ney ? Chez les frères Grimm, les fins sont “sen­si­ble­ment dif­fé­rentes” de celles pro­po­sées par le génial Amé­ri­cain. Mais les frères Grimm, c’est aussi Han­sel et Gre­tel et Le Vaillant petit tailleur. Contes qui n’eurent pas droit à la man­sué­tude des ate­liers Dis­ney mais qui n’en sont pas moins de purs petits joyaux. Le XXIe voit se confir­mer les talents d’un autre duo de frères aty­pique, l’Uruguayen Mario Delgado-Aparaín et le Chi­lien Luis Sepúl­veda. Les Contes de Grimm en perdent un “m” mais y gagnent une approche des plus ubuesques.

Qu’on se le dise, le seul grand paral­lèle avec les Contes de Grimm est visible au début de cet échange de seize lettres entre les éru­dits que sont Orson C. Cas­tel­la­nos et Segis­mundo Ramiro von Klatsch. Le Vaillant petit tailleur est alors revi­sité lors d’un spec­tacle de nos deux frères Grim (Abel et Caïn), objets des recherches des deux pro­fes­seurs. Ces der­niers vivent en reclus, en Uru­guay pour l’un, et en Pata­go­nie pour l’autre. Les lettres arrivent tou­jours mais leurs périples sont à la hau­teur de ceux ren­con­trés par leurs fac­teurs res­pec­tifs : le clo­chard Ros­wel Aldao et l’invétéré nageur Miguel Strogoff !

Ainsi, ce pauvre Miguel Stro­goff souf­frira moult ava­nies durant cet échange épis­to­laire. Jeté régu­liè­re­ment du Com­mo­doro Bri­se­menu, il n’échappera aux orques en rut et autres céta­cés qu’en y lais­sant une pre­mière jambe, rem­pla­cée par une en bois style Louis XVI, sui­vie de la seconde, aus­si­tôt rem­pla­cée par une autre, aussi en bois, mais style Louis XIV et ainsi de suite jusqu’à une pre­mière fesse. Pen­dant ce temps, on pourra suivre les péré­gri­na­tions et les amours d’Abel et Caïn Grim. Toute une kyrielle d’acteurs gra­vite autour de ces hommes à tout faire : Car­loto Hes­ton (Charl­ton Hes­ton), don Juan de Dios Wayne veuf Sil­ver (John Wayne), Hum­berto de la Mer­ce­dez Bogart (Hum­phrey Bogart). Autant de per­son­nages pas­tiches qui en prennent pour leur grade. Mais pas autant que Dick Che­ney et son aco­lyte édi­teur, Mr George Bush­ta­mante, de Bush­ta­mente & Bush­ta­mante Books, une misé­rable impri­me­rie texane. Ces deux der­niers fai­sant des appa­ri­tions ici et là toutes plus ridi­cules les unes que les autres.

La pré­sence du fadiste lusi­ta­nien Manuel das Valentes Rou­bi­gnoles Ver­mel­has est l’occasion de rap­pro­cher cette œuvre d’un autre auteur aux Rou­bi­gnoles du des­tin, Jean-Bernard Pouy. Orson C. Cas­tel­la­nos et Segis­mundo Ramiro von Klatsch auraient mérité de par­ti­ci­per à lExpé­di­tion Sanders-Hardmuth. Sus­pen­dus à la lumière (Poèmes épiques de 40 watts. Dr Prof. Segis­mundo Ramiro von Klatsch. Édi­tions Culture du syn­di­cat des élec­tri­ciens. San­tiago du Chili. 1974) n’a rien à envier au Stoe­cker, mon père, moi, mon fils, et Anton San­ders (d’Helmut Parass et Hel­mut Tamol, éd. Schla­ckmül, St Gall 1983) de JBP. Les Pires Contes des frères Grim est, en effet, issu de cette même lignée, faite d’une foul­ti­tude de rap­pels “cultu­rels”. S’il est aisé de voir en Car­loto Hes­ton un Charl­ton Hes­ton et sa furieuse manie des armes, ici dénon­cée, on a la fâcheuse cer­ti­tude d’échapper à dix autres paral­lèles tous pour­tant aussi évi­dents. La lec­ture n’en reste pas moins jouis­sive. Ces péré­gri­na­tions des frères Grim et les recherches scien­ti­fiques qui en découlent sont à mettre au même niveau que celles de l’équipe d’Unders­tand Earth du Twist Tro­pique de Fran­cis Mizio aux édi­tions Baleine. Dans ce roman, Mizio met­tait en scène le zoo­logue Washing­ton Doug Cer­coe, dit “Qugé” à cause de Washing­ton D.C. ! qui par­tait enquê­ter sur les mœurs d’une tribu de singes qui sin­geaient les humains. Avec Les Pires contes des frères Grim, ce sont les humains qui singent les humains. Drôle, caus­tique et… vrai.

Les ama­teurs des Contes de Grimm, avec deux “m” se réjoui­ront de voir à l’affiche un film de Terry Gil­liam avec Heath Led­ger, Lena Hea­dey, Matt Damon et Peter Stor­mare (voir le site du film Les Frères Grimm). Film qui, n’en dou­tons pas quand on sait que son réa­li­sa­teur est aussi celui des Aven­tures du baron de Mun­chau­sen, sera dans le même esprit que cet échange lit­té­raire entre deux grands auteurs sud-américains.
Il est impor­tant de noter que Mario Delgado-Aparain fait aussi, pour cette ren­trée 2005, une appa­ri­tion remar­quée et en force aux édi­tions Métai­lié avec La Bal­lade de Johnny Sosa. Luis Sepúl­veda, lui, est un habi­tué de la maison.

julien vedrenne

   
 

Mario Delgado-Aparaín et Luis Sepúl­veda, Les Pires Contes des frères Grim (trad. du chi­lien par Ber­tille Haus­berg et de l’uruguayen par René Solis), Métai­lié coll. “Biblio­thèque hispano-américaine”, octobre 2005, 189 p. — 20,00 €.

 
     
 

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