Les tueurs en série ont toujours fasciné les foules tant par la terreur qu’ils engendrent avec l’incertitude de la prochaine victime que par leur capacité, pendant un certain temps, à échapper à ceux qui les traquent. Se basant sur des faits authentiques survenus à La Nouvelle-Orléans, Ray Celestin signe un thriller en tension peuplé de personnages attachants dont le moindre n’est pas la ville elle-même.
Depuis six semaines, La Nouvelle-Orléans est en émoi. Un tueur assassine ses victimes à la hache et signe ses crimes avec une carte de tarots. Sur les lieux de son dernier forfait, un couple de commerçants siciliens, il a laissé un message sibyllin : “Quand j’en aurai fini, Mme Tenebre sera dans le même état que Mme Maggio.” Il a à ses trousses un certain nombre de personnes. John Riley est journaliste au New Orléans Times-Picayune. C’est lui qui, au terme d’une nuit très abreuvée, est tombé sur une lettre à l’en-tête des Enfers, datée du 6 mai 1919, où le tueur se présente comme un démon. Ida Davis, une jeune métisse, employée comme secrétaire à la Pinkerton National Detective Agency de la ville, rêve de devenir enquêtrice. Michael Talbot, le lieutenant-détective en charge de l’affaire, est en première ligne. Luca D’Andrea sort d’Angola, le pénitencier de Louisiane, où il vient de passer cinq ans. Se joignent à ce quatuor de poursuivants, Kerry un jeune Irlandais qui intègre la police et l’inspecteur Jack Hatener.
Les liens entre ces personnes sont divers et variés. Luca était policier et avait pris Michael sous son aile jusqu’à ce que celui-ci le charge, dénonçant son appartenance à une famille mafieuse et l’envoie en prison. Hatener aidait Luca à couvrir les activités illégales de la famille. Ces parcours vont se croiser, se mêler avec celui du tueur qui continue sa sinistre besogne jusqu’à ce que…
Utilisant une situation réelle qui s’est déroulée entre 1918 et 1919 quand un homme a tué six personnes à coups de hache à La Nouvelle-Orléans, Ray Celestin construit une intrigue brillante. Il installe un tueur en série qui allie violence extrême et maîtrise de soi. En effet, celui-ci referme les ouvertures derrière lui pour faire penser qu’il peut traverser les murs. Il l’entoure d’un groupe de protagonistes qui présentent tous une faille, un profil « cabossé », que celui-ci vienne d’une différence physique, d’une double vie, d’une passé trouble, de secrets plus ou moins honteux… L’action est omniprésente avec ce tueur insaisissable, des liens avec des affaires anciennes restées inexpliquées, la criminalité sous toutes ses formes, des rivalités ethniques et l’arène politique où abondent des individus aussi peu recommandables que possible.
L’auteur fait progresser son récit avec l’alternance des parcours, montrant les moyens mis en œuvre par chacun pour débusquer le criminel. Cette quête vers la vérité débouche sur une conclusion saisissante, fort bien amenée au terme d’une progression maîtrisée de cette intrigue d’une belle subtilité.
Avec ce récit, Ray Celestin brosse le portrait d’une société, propose une vision sociologique, politique, criminelle de la ville après la Grande Guerre. Il place également la cité au cœur de l’action, une ville atypique construite sur des marais, en dessous du niveau de la mer, coincée entre un lac et le Mississipi, cernée de marécage où grouille une faune dangereuse. Elle est régulièrement soumise aux ouragans et inondations. Mais elle baigne dans un climat musical unique. Le romancier met ausi en scène, avec Ida, un jeune musicien, mal marié, maîtrisant l’usage du cornet et connu à l’époque, par ses proches, comme Lil’ Lewis Armstrong.
Carnaval est un roman qui se lit avec un grand plaisir tant par les qualités de son intrigue que par la galerie de personnages qui le peuplent.
serge perraud
Ray Celestin, Carnaval, (The Axeman’s Jazz), traduit de l’anglais par Jean Szlamowicz, Cherche-Midi, coll. “Thriller”, mai 2015, 496 p. – 21,00 €.