Barbara Abel, L’innocence des bourreaux

Prise d’otages à haut risque

Imagi­nez que vous soyez tran­quille­ment en train de faire vos courses dans votre supé­rette pré­fé­rée et qu’un for­cené cagoulé y fasse irrup­tion en bra­quant une arme sur toutes les per­sonnes pré­sentes, com­ment réagiriez-vous ? Céderiez-vous à la panique ? Vous feriez-vous oublier ou tenteriez-vous de jouer au héros ? Autant de pos­si­bi­li­tés qui sont brillam­ment exploi­tées par Bar­bara Abel dans son tout der­nier roman.
C’est un jour comme un autre pour les clients de cette supé­rette d’un quar­tier pari­sien gérée aujourd’hui par le dis­cret et aimable Guillaume. Rien ne laisse pré­sa­ger que leur quo­ti­dien va bas­cu­ler en quelques minutes, et pour­tant… Un jun­kie en manque a décidé de bra­quer le maga­sin afin de pou­voir s’offrir quelques doses. Opé­ra­tion qui pour­rait être facile, mais qui finit par se pas­ser autre­ment qu’il l’avait prévu. Parmi ses otages, un couple adul­tère prêt à se dire au revoir. Une jeune maman qui a aban­donné son petit gar­çon de trois ans dans son appar­te­ment en face d’un des­sin animé, juste le temps de lui ache­ter des couches. Une vieille dame aigrie qui a accom­pa­gné son aide fami­liale en courses, et une mère auto­ri­taire en conflit avec son ado­les­cent de quinze ans  : tous se retrouvent tous pris au piège der­rière le rideau baissé de la supé­rette. Tout d’abord cho­qué, pétri­fié devant l’horreur de la situa­tion, cha­cun va vite réagir à sa manière, et la fron­tière entre bour­reaux et vic­times va peu à peu s’effriter jusqu’à l’inévitable drame.

Avec ce huis clos oppres­sant, Bar­bara Abel impose plus que jamais son nom parmi les maîtres euro­péens du thril­ler psy­cho­lo­gique. Après voir exploré les ten­sions cachées entre voi­sins dans son dyp­tique réussi Derr­rière la haine et Après la fin, elle prouve qu’elle sait dis­sé­quer avec pré­ci­sion les rela­tions humaines au quo­ti­dien, et les noir­ceurs de nos âmes per­dues. Ici, rien n’est blanc ou noir, vic­times et bour­reaux se confondent au bout de quelques cha­pitres, et ce bra­quage impro­visé nous révèle avec hor­reur toutes les facettes du citoyen lambda, tout autant pri­son­nier de son égoïsme que de cette supé­rette. L’auteure pro­pose dès les pre­mières pages une gale­rie de por­traits com­plexes, inti­mistes, et des per­son­nages dont on peut si bien com­prendre les sou­cis et les envies de bon­heur fugaces. On s’émeut devant les dif­fi­cul­tés de cette jeune mère sépa­rée, qui donne tout son amour à son petit gar­çon, quitte à s’oublier, elle. On par­tage les longues jour­nées de cette octo­gé­naire iras­cible, que son aide ména­gère sup­porte tant bien que mal, parce qu’il faut bien gagner sa vie. On s’offusque de la bêtise de cet homme infi­dèle, et de sa lâcheté. On espère une rela­tion plus pai­sible pour une mère et un fils en pleine crise d’adolescence. On devine l’inquiétude du jeune cais­sier, en attente de réponse pour le test de pater­nité que son ex-copine a passé…
Bref, on éprouve une telle empa­thie pour les per­son­nages créés par Bar­bara Abel, que l’on tourne les pages avec une impa­tience éper­due. Et quand le dénoue­ment arrive, on espère que notre vie ne som­brera jamais dans l’enfer qu’ils ont vécu, et l’on pleu­re­rait presque devant notre inno­cence perdue.

Un thril­ler éprou­vant pour les nerfs, un chef-d’œuvre de sus­pense, qui nous fait nous poser des ques­tions sur notre Huma­nité, et sur la notion de jus­tice. Un livre dont per­sonne ne peut sor­tir indemne, à l’image des per­son­nages créés par une auteure à l’efficacité redoutable.

franck bous­sard

Bar­bara Abel, L’innocence des bour­reaux, Bel­fond, 2015, 320 p. — 18,50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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