James Blish, Un cas de conscience

Des mérites et des dan­gers de l’éducation et de la socialisation

 Toujours, les romans de science-fiction auront leurs adeptes. Tou­jours, ils auront leurs détrac­teurs. Par­fois tout de même, une comète livresque strie le fir­ma­ment des conven­tions et cli­chés inhé­rents au genre SF et par­vient, l’espace de quelques pages, à mettre tout le monde d’accord. Un cas de conscience est de cette trempe-ci. Aussi, à sup­po­ser que vous soyez rétif au concept du fan­tas­tique (pris au sens large, point n’est besoin ici d’entrer dans les riva­li­tés fra­tri­cides entre fan­tasy, space-opera, hard science et consorts), cette his­toire est faite pour vous car elle vous mon­trera, ô com­bien !, que la science-fiction peut pro­duire des textes de grande qua­lité, lit­té­raire et intel­lec­tuelle, tout en fai­sant cogi­ter le lecteur.

Le contexte est plu­tôt clas­sique pour ce qui est du futur dans lequel Blish nous immerge : per­sua­dés que le pro­chain conflit ato­mique les fera dis­pa­raître de la sur­face ter­restre, les hommes ont décidé de se réfu­gier dans des Abris sou­ter­rains anti-atomiques. Paral­lè­le­ment, ils ont déve­loppé un pro­gramme d’exploration des espaces inter­si­dé­raux afin d’y trou­ver de nou­velles formes de vie et de nou­velles richesses. Ce qui les mène sur la pla­nète de Lithia où quatre savants sont délé­gués sur place pour déter­mi­ner le sens à accor­der à cette autre forme de vie évo­luée (ses habi­tants, paci­fiques, sont des rep­tiles hauts de trois mètres) qui s’y déploie de manière abso­lu­ment remar­quable.
Ainsi les pre­mières pages du roman s’ouvrent-elles sur les média­tions du Père jésuite, Ruiz-Sanchez, fai­sant par­tie du comité déci­sion­naire et hési­tant quant aux ver­tus trop “para­di­siaques” de Lih­tia en les­quelles il subo­dore bien plu­tôt un “malin génie” à l’œuvre. Sur le point de rendre leur rap­port au gou­ver­ne­ment des Nations Unies, les quatre scien­ti­fiques se crêpent de fait le chi­gnon, deux d’entre eux étant séduits par les res­sources miné­rales de la pla­nète (à exploi­ter au prix de l’esclavage des Lithiens) tan­dis que le père Ruiz-Sanchez, par ailleurs spé­cia­liste en bio­lo­gie réputé (tout comme James Blish lui-même) — délais­sant son exè­gèse du Fin­ne­gans wake de Joyce — voit dans cette pla­nète la ten­ta­tion suprême des­ti­née à abu­ser les hommes.
S’ensuit un pas­sion­nant débat entre les tenants de la conquête tech­no­lo­gique pro­mé­théenne et l’apologiste d’une posi­tion plus reli­gieuse et éthique. Un épi­neux pro­blème de casuis­tique donc, d’où le titre, et qui pour­rait bien scel­ler le sort de l’humanité…

Paru en 1958, ce roman sur­prend, au bon sens du terme, par la qua­lité des infor­ma­tions scien­ti­fiques (bio­lo­giques, phy­siques) qu’il dis­tille ainsi que par la réflexion phi­lo­so­phique déployée eu égard à la théo­lo­gie et à la nature humaine. Si les scènes d’action ne sont pas légion et déce­vront de ce point de vue les ama­teurs de romans SF contem­po­rains, tous ceux qui aiment pen­ser en lisant célè­bre­ront là un récit aty­pique tout en rup­ture avec les codes nar­ra­tifs de l’époque (rai­son pour laquelle sans doute Blish reçut le Prix Hugo pour cette œuvre). Si la pre­mière par­tie du livre plante sim­ple­ment le décor exo­tique de Lithia, la seconde, qui narre le deve­nir d’Egtverchi, embryon lithien confié à Ruiz-Sanchez en sou­ve­nir de la pla­nète afin qu’il croisse sur Terre, est très sti­mu­lante : elle per­met un por­trait au vitriol d’une société humaine déca­dente et ron­gée par les médias, où cer­tains hommes paraissent de vrais extra­ter­restres pour leurs sem­blables (pas besoin d’aller les cher­cher dans les étoiles semble conclure Blish).
Le roman­cier livre alors des for­mules bien sen­ties en ce qui concerne les mérites et dan­gers de l’éducation et de la socia­li­sa­tion dans le pro­ces­sus de for­ma­tion iden­ti­taire des êtres — auquel le par­cours dévas­ta­teur de Egt­ver­chi sert de repous­soir. Cela sans qu’on sache jamais au juste où se situent désor­mais la rai­son et la folie, le bien et le mal, le vrai et le faux, le sacré et le pro­fane, ce qui donne tout son sel à cet ouvrage épatant.

fre­de­ric grolleau

   
 

James Blish, Un cas de conscience (A case of conscience — tra­duit par J.-M. Dera­mat &Tho­mas Day) Gal­li­mard coll. “Folio SF”, 2005, 356 p. — 6,40 €.

 
     

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