Des mérites et des dangers de l’éducation et de la socialisation
Toujours, les romans de science-fiction auront leurs adeptes. Toujours, ils auront leurs détracteurs. Parfois tout de même, une comète livresque strie le firmament des conventions et clichés inhérents au genre SF et parvient, l’espace de quelques pages, à mettre tout le monde d’accord. Un cas de conscience est de cette trempe-ci. Aussi, à supposer que vous soyez rétif au concept du fantastique (pris au sens large, point n’est besoin ici d’entrer dans les rivalités fratricides entre fantasy, space-opera, hard science et consorts), cette histoire est faite pour vous car elle vous montrera, ô combien !, que la science-fiction peut produire des textes de grande qualité, littéraire et intellectuelle, tout en faisant cogiter le lecteur.
Le contexte est plutôt classique pour ce qui est du futur dans lequel Blish nous immerge : persuadés que le prochain conflit atomique les fera disparaître de la surface terrestre, les hommes ont décidé de se réfugier dans des Abris souterrains anti-atomiques. Parallèlement, ils ont développé un programme d’exploration des espaces intersidéraux afin d’y trouver de nouvelles formes de vie et de nouvelles richesses. Ce qui les mène sur la planète de Lithia où quatre savants sont délégués sur place pour déterminer le sens à accorder à cette autre forme de vie évoluée (ses habitants, pacifiques, sont des reptiles hauts de trois mètres) qui s’y déploie de manière absolument remarquable.
Ainsi les premières pages du roman s’ouvrent-elles sur les médiations du Père jésuite, Ruiz-Sanchez, faisant partie du comité décisionnaire et hésitant quant aux vertus trop “paradisiaques” de Lihtia en lesquelles il subodore bien plutôt un “malin génie” à l’œuvre. Sur le point de rendre leur rapport au gouvernement des Nations Unies, les quatre scientifiques se crêpent de fait le chignon, deux d’entre eux étant séduits par les ressources minérales de la planète (à exploiter au prix de l’esclavage des Lithiens) tandis que le père Ruiz-Sanchez, par ailleurs spécialiste en biologie réputé (tout comme James Blish lui-même) — délaissant son exègèse du Finnegans wake de Joyce — voit dans cette planète la tentation suprême destinée à abuser les hommes.
S’ensuit un passionnant débat entre les tenants de la conquête technologique prométhéenne et l’apologiste d’une position plus religieuse et éthique. Un épineux problème de casuistique donc, d’où le titre, et qui pourrait bien sceller le sort de l’humanité…
Paru en 1958, ce roman surprend, au bon sens du terme, par la qualité des informations scientifiques (biologiques, physiques) qu’il distille ainsi que par la réflexion philosophique déployée eu égard à la théologie et à la nature humaine. Si les scènes d’action ne sont pas légion et décevront de ce point de vue les amateurs de romans SF contemporains, tous ceux qui aiment penser en lisant célèbreront là un récit atypique tout en rupture avec les codes narratifs de l’époque (raison pour laquelle sans doute Blish reçut le Prix Hugo pour cette œuvre). Si la première partie du livre plante simplement le décor exotique de Lithia, la seconde, qui narre le devenir d’Egtverchi, embryon lithien confié à Ruiz-Sanchez en souvenir de la planète afin qu’il croisse sur Terre, est très stimulante : elle permet un portrait au vitriol d’une société humaine décadente et rongée par les médias, où certains hommes paraissent de vrais extraterrestres pour leurs semblables (pas besoin d’aller les chercher dans les étoiles semble conclure Blish).
Le romancier livre alors des formules bien senties en ce qui concerne les mérites et dangers de l’éducation et de la socialisation dans le processus de formation identitaire des êtres — auquel le parcours dévastateur de Egtverchi sert de repoussoir. Cela sans qu’on sache jamais au juste où se situent désormais la raison et la folie, le bien et le mal, le vrai et le faux, le sacré et le profane, ce qui donne tout son sel à cet ouvrage épatant.
frederic grolleau
James Blish, Un cas de conscience (A case of conscience — traduit par J.-M. Deramat &Thomas Day) Gallimard coll. “Folio SF”, 2005, 356 p. — 6,40 €. |
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