Souvent le texte ne peut prétendre qu’à une illusion de temporalité. Il n’est qu’un artifice du désir en projetant dans les mots un certain rêve d’existence auquel la vie ne peut répondre. En ce sens, il est un refuge ; ce qui ne veut pas dire pour autant – et comme le pensent Blanchot et Louis-Combet– que l’écriture finit par retourner au désastre. Christophe Lamoit Enos le prouve. L’aventure du langage reste pour lui une aventure essentielle, existentielle. Proche de le nouvelle poésie américaine behaviouriste, l’auteur ne cherche pas à attiser des tempêtes émotives superfétatoires.
Et si l’écriture ne sauve pas, elle fait « avancer » contre l’enlisement et l’accident de l’existence. D’autant que, pour l’auteur, le texte n’empêche pas de vivre. Il suffit de le sortir de son aspect narcotique. C’est pourquoi Lamiot Enoc est plus proche du radicalisme des poètes new-yorkais du temps que ceux de la Beat-Generation. Tant par son écriture que sa vision de l’existence. A la magie, il préfère le réel. Car les mots ne conduisent pas à une duplicité avec une activité purement mentale :
« notre marche, en forêt, notre marche
reprenons, notre marche, en forêt »
ou encore
« vont, son, eau
raies, la terre,
huis, ce lé » (…)
« ruisseler
s’imagine
ce, de l’eau « (…)
« Ce de l’eau
S’imagine
ruisseler »
Les laisses livrées à leurs scansions font entendre que l’histoire n’est pas un leurre, que le temps passe et fait bouger le monde. L’homme n’est pas forcément toujours au même point d’enfance. Ses mots ne naissent pas que de l’obscur mais du monde à mesure que le texte se déploie, revient, se relance contre la solitude où, dit-on, tout est parti et tout revient. Cela est vrai sans doute. Mais entre les deux une « marche » oblige.
jean-paul gavard-perret
Christophe Lamiot Enos, Alpe du Grand-Serre, coll. trait court, Passage d’encres, Guern, 2015 - 5,00 €.