Il existe dans chaque texte de Christiane Tricoit une radicalité rare et prégnante. Route de S - superbement « soutenu » par les bois (noirs) gravés de Claire Nicole — replonge dans un territoire incertain, lacunaire où la parole parle encore, sans y croire, comme défaussée mais toujours digne de foi et de puissance. Au vacarme de la route répondent des soubresauts de murmures pudiques, intenses, métaphoriques (sans pour autant que la poétesse n’use d’une telle figure). Emergent un chagrin, un désespoir en filigrane au milieu du vide paradoxalement océanique puisqu’on est là dans la rase campagne ou plutôt la campagne rasée et abrasée.
Le lecteur y erre abandonné au dedans de lui-même. Il se consume au milieu d’un gris d’asphalte que Claire Nicole étend à sa main. Ses gravures en “Nacht und Traume” soulignent les séquences phrastiques brisées du texte magnifique. La voix perdure à peine, à peine sur une « quatre voies » qui la broie. Elle n’est plus une seconde nature. Mais reste celle qui anticipe le vrai vide grevé de silence. Toutefois demeure en lui cette tonalité que Christiane Tricoit lui accorde. Elle vient recoudre la berceuse minimaliste d’un deuil inaccompli. Celui de l’objet maternel ou d’une tempête dont les cadavres des arbres opposent leur densité au glissement du temps. A la musique intrinsèque des vents fait soudain place celle d’un écho du silence qui n’appartient qu’à la poétesse.
jean-paul gavard-perret
Christiane Tricoit, Route de S, Collection Leporello, Passages d’encres, 56310 Guern, 2015.