Olivier Cadiot prouve dans son nouveau texte que la poésie modèle ne peut pas exister. Cela n’empêche pas de la poursuivre de manière aussi héroïque que « lamentablement » selon des modèles inattendus chez lui. Dans Providence (titre à plusieurs entrées), l’artiste revient en écriture classique non pour rentrer dans les ordres mais pour épaissir un certain chaos. Tout commence ici par une anecdote. Elle souligne une rencontre « ratée » qui justifie la présence d’une écriture « normalisée ». Cadiot rencontra William Burroughs qui s’approcha de lui et lui mit la main sur l’épaule. Un « Young man » de type YMCA ouvrit un monologue qui se perdit dans les bruits extérieurs et un accent qui empêchèrent au jeune Français de comprendre quoi que ce fût. De ce trou noir, de ce rendez-vous « manqué » il retira l’idée que, ayant compris les mots de l’Américain, son œuvre en aurait été changée.
Providence se décline en quatre récits où l’auteur approfondit la jonction maître ou modèle et « créature ». Une d’entre elle « en papier » et abandonnée se retourne violemment contre son auteur et pose la question de l’abolition d’un narrateur. Dans le récit « Comment expliquer la peinture à un lièvre mort » on sent que l’art moderne est terminé et que pour en surgir il convient de partir à rebrousse-poil. Quant à l’héroïne d’ Illusions perdues, elle découvre que son artiste modèle s’est réduit à une sorte de momie muséale. Dans le dernier texte un vieil homme doit assurer une conférence pour prouver qu’il n’a pas perdu la raison. Ces quatre biographies rapides permettent aussi des rencontres intempestives : vieilles dames bien sous tout rapport. Mais il y a aussi John Cage de passage en Europe, des collectionneuses tyranniques, un spécialiste du ricochet, un passionné de quadriphonie lacustre, des gardes-chasse, etc.
Le livre (lui-même quadriphonique) emporte par son mouvement afin de créer une poésie qui n’est plus celle à laquelle Cadiot avait habitué. Elle passe ici par la narration et le monologue et permet de s’interroger sur l’art, la littérature et le propre parcours du créateur. Il invente, fragments par fragments, un étrange « corpus » apocryphe qui avance parfois par « remords » vers ce que Blanchot nomma « l’inachèvement ». Le dispositif particulier permet d’introduire du « mensonge » dans la fiction, de la vérité dans le réel selon de multiples « objections », pas en arrière, pas en avant selon des hésitations nécessaires qui contredisent la « vocation » de certitude qu’on accorde au poète et la puissance qu’il revendique trop souvent.
Cadiot les refuse afin tenter de connaître — dans ce qui s’écrit, s’image ou se vit — les choses qui valent la peine.
jean-paul gavard-perret
Olivier Cadiot, Providence, P.OL Editeur, 2015, 256 p. - 16,00 €.
Bien plus que déroutant, mais la poésie à bon dos dans ces digressions sans quêtes ni têtes..! C’est parfois drôle, parfois sensuel, mais souvent ennuyeux…dommage.