Jacques Clauzel : effacements
Tout dans l’œuvre de Jacques Clauzel joue sur une extinction. Elle reste néanmoins germinative. Contre la pulsion artistique qui glisse dans le sens d’une expansion, le peintre invente une contraction. Son oeuvre devient une apothéose de la solitude mais ne renie pas pour autant les échos de l’autre et du monde. Pour preuve, l’artiste se met souvent au service de poètes — et des plus grands comme Salah Stétié ou Roger Munier par exemple. Toutefois, il ne les « illustre » pas. A travers eux, il poursuit son aventure plastique et sa quête de formes pas forcément assimilables puisqu’elles refusent le simple jeu de miroir ou de figuration.
Peintre de l’impalpable, l’artiste dépouille les surfaces dans une économie lapidaire d’où n’émergent bientôt que des « lambeaux » témoins d’une prolixité engloutie. L’Imaginaire abandonne des domaines traditionnels afin de pénétrer dans d’autres lieux ou espaces. Y résonnent d’autres langages, jusqu’à un lieu d’écart et de silence par le transbordement des images vives au profit d’image plus sourdes. Les auteurs choisis par Clauzel lui permettent d’ailleurs d’entrer en porte-à-faux avec eux afin de générer une création qui est moins la réalisation des possibles que la naissance de lieux d’écart et d’écartement. Face au foisonnement, au débordement surgit un « affaissement » en cette volonté de montrer moins pour voir plus.
Face au mensonge et à la narration des images reste chez Jacques Clauzel ce qui demeure indélébile en leurs morceaux, leurs « reliques ». Contre toute attente, cette (presque) disparition fait moins croire à la mort dans la vie que son contraire. Par le spectre des gris surgit une ligne générale plus d’existence que d’absence ou de manque. Minimalistes ou « pauvres », de telles images déchirent de leur murmure le silence ou « disent » ce que les mots des poètes eux-mêmes ne peuvent avancer. Preuve que la perte n’est pas un manque d’existence mais — lorsque l’art la magnifie — une manière de résister à tout ce qui échappe ou fuit.
jean-paul gavard-perret
Jacques Clauzel, Salah Stétié, Doigt appuyant sur une paupière de neige, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2014 — 12 p.