Joe Bousquet, L’opium des songes

De pro­fun­dis clamavi

A vingt-et-un ans, Joe Bous­quet fut contraint par une bles­sure de guerre. Il dut gar­der le lit de sa chambre de Car­cas­sonne où il devint un écri­vain et poète dou­lo­reux mais majeur. Il écrit, en 1938, la pre­mière de ces trente-et-une lettres. Il est déjà figure de proue des « Cahiers du Sud» un peu avant son Tra­duit du silence  en 1941 où il connaît enfin le suc­cès.
Mais de plus, née à Car­cas­sonne, Ginette Lauer est éle­vée dans un couvent où elle déve­loppe un pen­chant mys­tique. Elle devien­dra une figure agis­sante de la vie lit­té­raire et artis­tique de la ville où elle reprend la librai­rie de la Cité et y crée une gale­rie d’art. Cette femme devint le cor­res­pon­dant autant de coeur que d’esprit de Bousquet.

Il la sait poète, confirme son appé­tence dans le genre et sou­ligne son expé­rience : “Vous connaî­trez la vie vraie, celle qui ne veut pas des années, celle dont l’existence d’un homme est la sœur de lait”, lui écrit-elle. Il lui donne des conseils (lire, écrire, tra­vailler, publier). Mais il la met en garde face aux dés­illu­sions et aux décep­tions que tend la des­ti­née. Cepen­dant, au pre­mier chef il la ras­sure : « Vous sau­rez que vous êtes dans la voie vraie tant qu’il n’y aura pas de peine assez forte pour triom­pher de la joie que vos propres paroles vous apporteront. »

Mais il y a plus, : cette cor­res­pon­dance est désen­tra­vée de toute dimen­sion sen­suelle. Jusque là, ces lettres n’avaient jamais été don­nées à lire pas plus que les vues et convic­tions de Bous­quet sur la lit­té­ra­ture de l’entre-deux-guerres. Dévo­reur de vie mais confit de sa muti­la­tion, il avoue et éclaire les fon­de­ments de son écri­ture, ses propres démê­lés fami­liaux et l’atmosphère recuite de Car­cas­sonne. Il pré­cise à sa cor­res­pon­dante élue une mélan­co­lie tant il se sen­tait tout à fait au monde, néan­moins miné par la cer­ti­tude intime de ne pou­voir par­ve­nir à quelque chose d’immuable. Celle-ci façonne jus­te­ment, au-delà de l’aspect docu­men­taire d’une uti­li­sa­tion désor­mais obso­lète d’un maté­riau de la vie, un inté­rêt pour les formes les plus sophis­ti­quées de l’architecture littéraire.

Dans cette déam­bu­la­tion et son arra­che­ment, la cor­res­pon­dance devient une sorte de vade-mecum spi­ri­tuel où se res­sent une double pos­tu­la­tion :  res­sen­tir la vie en soi, mais à revers l’échec per­pé­tuel à se “consti­tuer soi-même”.  Tou­te­fois, face à un tel dilemme l’âme et l’esprit de Bous­quet émanent des pro­fon­deurs et atteignent la lumière. Il faut dans ce cas que la rai­son tré­buche et crée de tels ren­ver­se­ment : l’extase par­ta­gée est évo­quée là où se mêlent dou­ceur, com­bat et magie.

jean-paul gavard-perret

Joe Bous­quet, L’opium des songes, Cor­res­pon­dance éta­blie, anno­tée et pré­fa­cée par Paul Giro, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2025, 168 p. — 25,00 €.

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