Le christianisme a délégitimé l’esclavage
Sait-on de nos jours que, en vertu d’un édit de Louis X le Hutin en 1315, l’esclavage était formellement interdit en France, d’où l’obligation légale imposée aux marchands d’esclaves de libérer leurs captifs une fois sur la terre du roi de France ? Loin d’être anecdotique, ce fait, qui ouvre le livre de Jean-Pierre Montembault sur l’histoire des chrétiens et de l’esclavage, donne le ton d’une étude désireuse de combattre des poncifs sur cette douloureuse question. “L’Eglise catholique, écrit-il, n’a pas seulement combattu l’esclavage, elle a permis sa disparation en en détruisant les fondements idéologiques.”
Le principal mérite de l’ouvrage est de remettre en perspective l’histoire longue, non sans des comparaisons utiles avec d’autres civilisations qui ont pratiqué — pratiquent encore ? — l’esclavage comme l’islam ou l’Inde. Ainsi y a-t-il eu deux mouvements abolitionnistes portés par le christianisme. Le premier se situe à la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Age quand l’Eglise baptise les esclaves, les plaçant ainsi sur un pied d’égalité avec les maîtres. Cette manière de procéder, prudente comme toujours, avait l’avantage de ne pas révolutionner les structures sociales héritées de la Rome antique. Très vite, des clercs, anciens esclaves, devinrent papes (Calixte Ier et Pie Ier). Puis l’imposition de la paix de Dieu protégea les civils tout comme la pratique de la rançon annihila la vente des prisonniers.
Puis arrivèrent la Renaissance, les grandes découvertes, la colonisation de l’Amérique et le commerce triangulaire. Sur ce point, Jean-Pierre Montembault ne masque rien de la triste réalité. Tout en rappelant que seulement un pape valida l’esclavage (Nicolas V), là où tous les autres le condamnèrent, force est de constater que nombre d’évêques et de théologiens n’y trouvèrent rien à redire, avec, il est vrai, la pression considérable exercée par les propriétaires terriens, plus attachés à leurs rendements qu’à leur âme. Bien des religieux anti-esclavagistes furent ainsi chassés, parfois manu militari, d’Amérique. Les Lumières constituèrent à ce titre une régression très bien mise en relief par l’auteur, avec l’introduction d’un racisme inexistant auparavant. La régression du christianisme sur la pensée explique largement ce sursaut de l’esclavage européen, c’est capital à comprendre.
D’où la seconde vague abolitionniste du XIXè siècle due à une réaffirmation des valeurs chrétiennes et à l’action déterminante des mouvements protestants, aux Etats-Unis et en Angleterre. Cette dernière joua d’ailleurs un rôle moteur dans l’abolition de la traite, la traque des négriers et l’abolition de l’esclavage, sans jamais perdre de vue ses intérêts financiers, omniprésents dans toute cette triste histoire. Dans le même temps, la papauté suivait un identique chemin avec le renouvellement des condamnations par Pie VII, Grégoire XVI et Léon XIII. Pour la simple et bonne raison que le christianisme apporta une nouvelle vision de l’homme, celle donnée par le Christ lui-même, et définie par saint Paul: “il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus.”
Un livre fort utile, on l’a compris.
frederic le moal
Jean-Pierre Montembault, Les chrétiens et l’esclavage. Une histoire contrastée, Artège, novembre 2024, 160 p. — 15.90 €.