Tout ce qui arrive, tout ce qui manque
Un tel roman devient là une manière de tricher pour ne pas avouer à soi-même une histoire devenue sacrilège et déglinguée par le Maître. Se retrouve ici ce qu’il y a de plus universel : l’intime d’une femme entraînée sans fin dans un engrenage malgré elle. Accumulant tout ces petits riens, Emmanuelle poursuit ce que son père lui répétait : « Prépare-toi, je t’emmène au cinéma ». Ayant du talent, à l’âge de préparer sa thèse, elle pouvait imaginer que cela devait être un don. Le tout en choisissant son parfait directeur de thèse. Se voyant si calme, si sereine devant le “Maître”, elle va entretenir une ébauche d’idylle. Mais c’est un prédateur qui s’acharne sur celle qui ne pouvait pas mieux si bien tomber.
Existe chez elle l’aphanisis (disparition du désir sexuel) ayant subi sa propre indifférence forcée. L’impossible est sinon accueillant, du moins mortifère d’aimer trop, sans retour et de labourer le champ de l’acceptation de celle qui virevolte plus de force que de gré comme un papillon autour d’une ampoule. En renonçant à ses rêves et à l’apogée de sa réussite, elle subit ce qu’il y a de pire autour. Elle se retrouve transformée en rien face à celui qui, sous ses yeux, lui avait semblé fantastique. Elle doit s’y faire, se rendre à présent comme avant au cinéma. Le tout par une prose sobre, pudique d’une certaine manière, rapide et exigeante en une telle farce tragique de l’autorité malveillante.
Devenue trop dépecée aux dents de l’homme qui n’eut qu’à tenter premiers et le dernier pas, la voici jetée aux orties. Son corps et son consentement restent entre les griffes du Viking en parfait équilibre, la queue dans celle de sa sirène. La prédation effaçant toute attraction, il surfe sans aucun souci de sa partenaire. Bientôt auront lieu d’autres rapts dans sa “mécanique sur du vivant”. A l’héroïne plus tard de dissiper la phrase du père qui l’engageait avec des fantômes et de rompre avec les fortins de la tradition du viol dans certaines institutions aux serments d’hypocrites.
jean-paul gavard-^perret
Annie Dana, Prépare-toi, je t’emmène au cinéma, Editions Unicité, Saint Chéron, 2024, 84 p. — 13,00 €.