Catherine Faux, Chez Marguerite Duras

Temps retrouvé

Forte de ma connais­sance du cinéma et de la lit­té­ra­ture de Mar­gue­rite Duras, lors de mon cur­sus uni­ver­si­taire à Paris 8, je découvre les pho­to­gra­phies de Cathe­rine Faux, com­pagne du fils de Duras, Jean Mas­colo, plu­tôt les prises de vue inté­rieures et exté­rieures des lieux habi­tés par M. D.
Un temps sus­pendu qui cor­res­pond bien à « l’indéterminé » du per­son­nage chez Duras, les iden­ti­tés pro­blé­ma­tiques, les non-dits, la parole mini­male, un entre-deux dans des lieux tran­si­toires. Le passé a déjà figé les objets inani­més, les traces d’écrits, les cartes pos­tales, les voix d’adresse de l’écrivaine. Pour­tant, la quête d’écriture et sa réa­li­sa­tion se sont ins­crites de façon tangible.

Parmi des livres, la pho­to­graphe capte ici un oiseau taxi­der­misé, une gra­vure d’Utamaro, de la vais­selle, des bibe­lots, des usten­siles de cui­sine, des meubles, des sou­ve­nirs du Viêt-Nam, là un vieil agenda où sont notés au stylo plume des dîners, des ren­contres mon­daines.
L’album com­mence par l’image d’un coin de lit, un canapé d’angle au revê­te­ment passé de toile de Jouy et des cous­sins de den­telle cro­che­tée. Des cadrages à 45 degrés, des cadres dans le cadre, à hau­teurs d’yeux, des visions fron­tales d’étagères joli­ment arran­gées, des murs blancs comme chau­lés, des tableaux et des miroirs, des tables de che­vet parmi les­quels des entre­fi­lets de lumière viennent se perdre sur des sols car­re­lés, par des portes à demi ouvertes, des chaises dépa­reillées ; tout témoigne d’une pré­sence fan­to­ma­tique, disparue…

Pour­tant, les plantes vertes sont vivaces, chaque objet est savam­ment dis­posé. Les miroirs ovales ou rec­tan­gu­laires ren­voient en trompe-l’œil des frag­ments de la lon­gère de Neauphle-le-Château. L’on recon­naît les décors des tour­nages de Natha­lie Gran­ger avec Jeanne Moreau et Lucia Bosè et du film Le Camion. Les lieux de Mar­gue­rite Duras semblent hors du temps, elle, « star mon­diale » des lettres, forte de cen­taines d’ouvrages écrits sur elle, sujet de thèses innom­brables, d’essais et de repré­sen­ta­tions théâ­trales.
Ce sont main­te­nant des pho­to­gra­phies apai­sées des lieux de Duras que nous res­ti­tue l’œil de Cathe­rine Faux, des natures mortes en quelque sorte, des tableaux épu­rés en domi­nantes vieux rose, bleu céla­don, blanc cassé, teintes assour­dies mêlées à du vieil or usé, dans la demeure de Neauphle dis­si­mu­lée par une végé­ta­tion grim­pante, se reflé­tant dans une pièce d’eau.

Les pho­to­gra­phies artis­tiques de Cathe­rine Faux nous pro­mènent jusqu’à Trou­ville, dans une bâtisse du 19ème siècle, dotée de ter­rasses don­nant sur la mer, où l’on retrouve un dis­po­si­tif iden­tique d’objets fétiches dans une déco­ra­tion plu­tôt sobre, et encore, des piles de livres. Il reste peu de sou­ve­nirs d’Indochine, assem­blés comme des reliques, un petit temple sacré.
Et l’on finit cette visite du temps retrouvé duras­sien à Paris, rue Saint-Benoît. L’atmosphère régnante s’apparente — comme en pro­lon­ga­tion — au bureau d’Émile Zola de la rue de Bruxelles. La pré­face est d’Alain Vir­con­de­let, écri­vain et his­to­rien de l’art.

yas­mina mahdi

Chez Mar­gue­rite Duras, pho­to­gra­phies, Cathe­rine Faux, textes, Cathe­rine Faux, préf. Alain Vir­con­de­let, éd. Ate­liers Henry Dou­gier, 2024, 136 p. — 30,00 €, Ebook, 6,99 €

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