Un enchaînement aussi cruel qu’implacable
Ce roman est présenté comme la troisième enquête de Joaquin Moralès. Or, celui-ci n’est pas le personnage principal, il laisse la vedette à sa consœur Simone Lord, rencontrée lors de la précédente affaire, La Mariée de corail (L’aube — 2023).
Tony McMurray, un cuisinier, a eu des ennuis avec la police. Depuis, il vit au Mexique. C’est à la demande de Lucien Carpentier, son ancien capitaine, qu’il est remonté pour une chasse payante. Il est dans une maison inoccupée en attendant d’embarquer le lendemain midi. Aussi, il est surpris quand une femme seule arrive dans l’habitation voisine vide. Tony veut profiter de l’isolement pour la forcer.
Nancy est fâchée que Denis Éloquin, son époux, ait loué son crabier, le Jean-Mathieu, à Marco Painchaud, son neveu. Bernard Chevrier, son beau-frère, un poivrot qui a dû vendre son permis de pêche, le rassure toutefois en embarquant. L’équipage est complété par Michaël Lapierre. Cette expédition au phoque gris, en pleine tempête, attire l’attention des services de Pêche et Océan Canada. C’est pourquoi son patron envoie Simone Lord en observatrice sur le crabier. Mais une femme sur un bateau de pêche est déjà une situation exceptionnelle. De plus, elle est seule avec quatre hommes dont certains ont des comptes à régler avec la police…
Pendant ce temps, Joaquin Moralès a signé les documents actant son divorce. Il sombre dans un état proche de la dépression. Son fils l’envoie dans un raid de ski de fond avec son ami Erik. Se joint au groupe Nadine Lauzon, la psychologue judiciaire, qui a dans ses bagages une enquête.
Et sur le crabier l’ambiance devient très vite angoissante…
Bien que le monde de la pêche ait été présent en filigrane dans ses précédents romans, Roxane Bouchard, cette fois, en fait le cadre presque exclusif de son récit. Elle installe son intrigue autour d’une pêche peu légale, mettant un des personnages dans une situation peu enviable. Mais parallèlement, elle fait mener, à distance, une autre enquête par son héros. Elle décrit avec précision cet univers, les pratiques de la pêche, de la chasse, les manières de s’y prendre et tout ce qui concerne le traitement des prises.
Mais elle s’attache à ses deux personnages, raconte leurs déchirures, les différents accidents de la vie qu’ils ont vécus, qu’ils vivent, et qui ont façonné leur personnalité présente. Elle évoque aussi leurs espoirs, leur projection dans un futur. Si, pour Joaquin, celui-ci a le visage de Simone, pour elle son avenir se joue à court terme. La tension monte très vite dans le huis clos du bateau avec ces hommes qui ont des comptes à régler avec les autorités.
Autour de ses deux héros, elle anime une théorie de protagonistes particulièrement hauts en couleur, construite avec soin, donnant à chacun une personnalité spécifique. La romancière n’élimine pas les conflits qui existent, au sein de milieux professionnels, entre les hommes et les femmes, avec ces machos qui n’acceptent pas que des dames exercent leur métier, ni même une activité. C’est aussi la concurrence, voire la guerre larvée, entre des services pour une défense de leur pseudo pré carré. Elle décrit ce qu’est un hakapiks, un long bâton de bois orné d’une tête de marteau et d’un crochet.
Avec un style inégalable, une écriture imagée, l’emploi d’un vocabulaire et d’expressions si chantantes, elle signe un superbe roman même si l’on peut trouver qu’elle abuse quelque peu du tabarnak.
serge perraud
Roxanne Bouchard, Le murmure des hakapiks, éditions de l’aube, coll. “Noire”, septembre 2024, 304 p. — 19,90 €.